31 mai 2006

 

"Le football est le sport politique par excellence"



Support Trinidad and Tobago !

PLANETE FOOTBALL DE IGNACIO RAMONET

"Le football est le sport politique par excellence. Il se situe au carrefour de questions capitales comme l’appartenance, l’identité, la condition sociale et même, par son aspect sacrificiel et sa mystique, la religion. C’est pourquoi les stades se prêtent si bien aux cérémonies nationalistes, aux localismes et aux débordements identitaires ou tribaux qui débouchent parfois sur des violences entre supporteurs fanatiques.

Pour toutes ces raisons – et sans doute bien d’autres, plus positives et plus festives –, ce sport fascine les masses."

Lire l'article dans le Monde Diplomatique, juin 2006

30 mai 2006

 

Lutte de classe et oppression - le cas de l'abolition de l'esclavage





Voici un excellent article de mon ami (le roi) Christophe Gaudier, sur comment la 1ère République a aboli - pour un temps trop court - l'esclavage. Sur le fond, il démontre les rapports dialectiques entre la lutte des opprimés et la lutte des classes. Les premiers doivent combattre pour leur liberté en toute indépendance (on parlera aujourd'hui de leur "autonomie" politique) mais ils le font généralement dans des conditions "objectives" qui leur sont très défavorables. La question des alliances ou des convergences des luttes est donc primordiale. Ce fut la convergence de la lutte des esclaves, sous la conduite de chefs issus de leurs propres rangs (ou récemment affranchis) comme Toussaint l'Ouverture ou Delgrès, et celle de l'aile la plus radicale des révolutionnaires français - ceux qui étaient les plus liés aux petits artisans et semi-prolétaires - qui rendit possible cette première abolition de l'esclavage. Son rétablissement fut évidemment la conséquence de la contre-révolution napoléonienne.

On peut donc se poser la question de savoir pourquoi la deuxième abolition (celle de Schoelcher !) fut, comme dit Christophe, plutôt une demi-abolition, qui laissa les anciens esclaves dans une situation de dépendance économique et sans pouvoir politique. Christophe écrit que cela se passa sans que les esclaves ne puissent "faire entendre leur voix", mais ne développe pas son analyse sur ce point. Or, il y avait une différence importante entre la 1ère et la 2ème République : dans le premier les révolutionnaires français étaient dans une lutte à mort avec les tenants de l'Ancien Régime, et avaient comme seuls alliés les couches les plus exploitées de la population. Dans le deuxième, la bourgeosie républicaine se sentait menacée autant, sinon plus, par la classe ouvrière naissante que par les monarchistes. Ce fut donc une révolution qui s'arrêta à mi-chemin, pour les esclaves, mais aussi sur le terrain social (il faut évidemment relire les écrits de Marx sur La lutte des classes en France etc). Terrorisée par le danger - pour eux - d'une révolution sociale, les partis bourgeois cédèrent facilement la place à la réaction en la personne de Louis Napoléon. Ce dernier, cependant, à la différence de Napoléon 1er, ne rétablira pas l'esclavage, qui n'était plus aussi rentable pour la bourgeoisie qu'auparavant. Celle-ci avait en plus déjà conquis l'Algérie et se tournait vers la conquête d'autres colonies.

J'espère que je suis clair !

PS Sur les rapports entre les luttes des opprimés et celle de la classe ouvrière, les différentes tentatives de Marx pour appréhender la question irlandaise sont fascinantes. Dans un premier temps, ils considéraient que les Irlandais (décidemment trop arrièrés ...) ne pouvaient pas se libérer sans la victoire des travailleurs anglais (plus avancés politiquement et peut-être culturellement ...). Après, il comprit que ceux-ci ne pouvaient pas se libérér tant qu'ils restaient aveuglés politiquement par leur attachement à la domination coloniale et à l'idée de la supériorité raciale (ou religieuse) des Anglais. "Un peuple qui en opprime un autre ne sera jamais lui-même libre" (si je me souviens bien de la citation). Il en vint à considérer que ce serait la victoire des Irlandais contre la classe dirigeante anglaise qui créeraient les conditions pour une révolution prolétarienne dans le pays dominant. Les Irlandais libéreraient les Anglais ! Dans tous les cas, ils pensaient que les deux luttes étaient intimément liées, tout le problème étant de comprendre la nature de la dialectique.

On me suit toujours ?

ET L'ARTICLE DE CHRISTOPHE ...

En 1794 l’abolition de l’esclavage fut une défaite des colons.

Selon une opinion largement répandue la Révolution qui débuta en 1789 pour aboutir à la République aurait été par essence abolitionniste. C’est donc de par son mouvement naturel et dans l’opposition à un Ancien Régime lui-même esclavagiste par essence, que par deux fois, en 1794 puis en 1848, la République abolit l’esclavage. Le rétablissement par le consul Bonaparte en 1802 ne serait qu’une péripétie que la République renaissante en 1848 se serait empressée d’effacer. Cette vision est fausse, contrairement à cette image quasi idyllique, le débat sur l’abolition entre 1789 et 1794 n’opposa pas la République et ses adversaires, mais il eu lieu dans le camp révolutionnaire lui-même.

Comment d’ailleurs en aurait-il été autrement dans une assemblée où les colonies étaient représentées par un parti de colons avant tout soucieux d’intérêts qu’ils partageaient avec des notables de villes dont l’activité étaient indissolublement liée au « commerce au loin » ? Condorcet le note avec justesse lorsque dès avant la réunion des états généraux il écrit à La Fayette : « trois colons choisis par des colons ne sont point pour les esclaves des colons des protecteurs bien impartiaux ». La première abolition de l’esclavage ne se fit pas portée par les idéaux des droits de l’homme dans un élan spontané, mais bien au terme d’une lutte acharnée dont le théâtre ne se limita pas aux seules assemblées.

Lorsque commence la révolution et jusqu’à la proclamation de la république, les principes de la déclaration de 1789 ne s’étendent pas jusqu’aux colonies et un fort parti colonial refuse d’entendre parler de tout ce qui peut évoquer une possible abolition. En mai 1791 un représentant des colons déclare à l’Assemblée Constituante : « Le régime colonial repose tout entier sur le système de l’esclavage. Le système de l’esclavage a pour base la continuation de la traite, et ce préjugé antique qui place les gens de couleur comme un barrière nécessaire entre les Noirs et les Blancs. Ces deux sauvegarde de nos propriétés sont menacées par des philanthropes. » Lorsque le 15 mai 1791 l’Assemblée décide timidement d’accorder la citoyenneté aux « libres » nés eux même de parents libres, les représentants des colons quittent l’assemblée et n’y reviendront qu’après avoir avoir obtenu un vote qui leur accorde la possibilité de faire obstacle à toute abolition. Une minorité, celle des futurs conventionnels s’élèvera contre cette inconséquence des constituants et avec Robespierre les accusera : « vous nous alléguez sans cesse les droits de l’homme, et vous y avez si peu cru vous mêmes que vous avez décrétez constitutionnellement l’esclavage. » Ils n’avaient pas tort puisque la constitution royaliste de 1791 affirme que : « les colonies et possessions françaises dans l’Asie, l’Afrique et l’Amérique, quoiqu’elles fassent partie de l’empire français, ne sont pas comprises dans la présente Constitution ». Le décret du 28 septembre déclarant libre et jouissant de tous les droits établis par la constitution tout homme quelque soit sa couleur qui entrerait en France n’y changera rien, ce ne fut que la confirmation d’un principe déjà acquis sous l’ancien régime.

Les nouvelles des évènements parisiens, la révolution et la déclaration des droits de l’homme arrivèrent aux Antilles dès septembre 1789, et malgré les efforts de colons pour les dissimuler aux Noirs elles relancèrent les revendications des esclaves et des affranchis. Ceux-ci rédigent des pétitions et à Saint-Domingue, un magistrat blanc qui les avait aidé à les rédiger est lynché en novembre 1789. En février 1791, le mulâtre Vincent Oger et son ami Chavannes, de retour de France pour réclamer l’application des droits des affranchis sont pris par des colons et horriblement suppliciés sur la place d’armes de Cap Français tandis certains de leurs partisans sont pendus. Des esclaves et des affranchis, sont fouettés et marqués au fer pour avoir lu à d’autres la déclaration des droits de l’homme. Les réactions de colons iront même jusqu’au massacre comme à la Martinique, le 3 juin à Saint-Pierre. C’est dans ses conditions qu’en août 1791 des dizaines de milliers d’esclavages et d’affranchis se soulèvent à Saint-Domingue et prennent le contrôle de la partie nord de l’île. Lorsque le 4 avril 1792 c’est sous la pression des révoltes locales et de l’opinion parisienne que l’Assemblée Législative reconnaît l’égalité politique des affranchis, mais sans inclure les esclaves. Pour certains de ces membres ce n’est pourtant qu’une ultime concession destinée à sauver l’esclavage. C’est pour faire appliquer cette loi que Sonthonax et Polverel, tout deux abolitionnistes convaincus sont envoyé à Saint-Domingue où ils débarquent en août 1792, à la veille de Valmy. Leur mandat sera confirmé par la république. Ils entrèrent en contact avec les insurgés et abolirent l’un et l’autre l’esclavage sur le territoire de leur mandat, Sonthonax dans le nord le 29 août 1793, et Polverel dans l’ouest et le sud le 21 septembre. Ces évènements ont eu un échos à Paris dans des journaux et feuilles républicaines qui affirmèrent leur soutien à l’insurrection Dominicaine.

Le 3 février 1794 arrivèrent à l’assemblée 3 nouveaux députés de Saint-Domingue élus après les abolitions de Sonthonax et Polverel, il y a parmi eux Jean-Baptiste Belley un ancien esclave né en Afrique et déporté à l’âge de deux ans, ils remplaçaient les députés des colons et c’est leur présence qui va provoquer le lendemain 4 février 1794 le vote du décret qui proclamera l’abolition de l’esclavage dans toutes les colonies. La Convention rejeta le principe de toute indemnisation des colons.

L’abolition de février 1794 se solda finalement par ce que l’on peut considérer comme une défaite totale du parti esclavagiste, des colons et de leurs alliés. Ce ne fut pas le cas de l’abolition de 1848. En 1848 les abolitionnistes ne voulurent pas aller jusqu’à refuser l’indemnisation des colons, reconnaissant par là que l’abolition leur faisait subir un préjudice. Les colons ne s’y trompèrent pas qui pour certains virent dans cette abolition l’équivalent d’un affranchissement après le rachat des esclaves à leur maître par la république. Ils comprirent également parfaitement que cette abolition laissait intactes les rapports coloniaux et les rapports de domination qui en découlaient. Pourtant pour les révolutionnaires de 1848 n’étaient pas plus ni moins radicaux que ceux de 1789, la différence essentielle entre les deux abolitions est que l’une se fit alors les esclaves y jouèrent leur propre partition, la seconde se fit en leur nom, mais sans qu’eux-même puissent faire entendre leur voix.

Christophe Gaudier

Un article de Combat Ouvrier, organisation soeur de Lutte Ouvrière aux Antilles,à l'occasion du 60ème anniversaire de la départementalisation des colonies françaises de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion : « Départements d'Outre-Mer » - 19 mars 1946 - 19 mars 2006 : 60 ans de politique dite « d'assimilation ».

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28 mai 2006

 

De l'or pour Loach


Le Palme d'Or pour le film de Ken Loach sur la guerre d'indépendance et la guerre civile en Irlande, "Le Vent se lève" (titre anglais : "The Wind that Shakes the Barley")! En attendant de voir le film, voici un article de John Newsinger sur la carrière de Loach depuis "Cathy Comes Home" (tourné pour la BBC en 1966) et "Kes" (1969) jusqu'à "Land and Freedom" et "My Name is Joe". L'article (en anglais) est de International Socialism n° 83 (été 1999). Ken Loach, ce n'est pas seulement un réalisateur de films 'réalistes', c'est aussi un membre actif de la coalItion RESPECT.

NOTE : Le titre original du film "The Wind that Shakes the Barley" est aussi le titre d'une chanson irlandaise écrite par Robert Dwyer Joyce (1830 - 1883). Je ne sais pas s'il y a un rapport avec l'écrivain James Joyce. La chanson, qui fait partie du répertoire "folk" et nationaliste - très riche en Irlande - est, selon une vieille tradition, mi-chanson d'amour, mi-chanson patriotique. Un jeune homme raconte comment il s'est résolu à quitter sa bien-aimée pour aller avec les "bold United Men" (les United Irishmen se sont révoltés contre l'occupant anglais en 1798). C'est forcément une chanson triste, mais qui exprime avec force la détermination des nationalistes irlandais à continuer la lutte, malgré tous les échecs du passé. On peut lire une version des paroles ici.

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REVUE "CONTRETEMPS" : Dossier "POSTCOLONIALISME ET IMMIGRATION"
mercredi 24 mai 2006

Sommaire
Dossier coordonné par Sadri Khiari et Nicolas Qualander.

Mamadou Diouf : Les études postcoloniales à l’épreuve des traditions intellectuelles et des banlieues françaises
Alix Héricord, Nicolas Qualander : Pour un usage politique du post-colonialisme
Todd Shepard : Une république française « postcoloniale ». La fin de la guerre d’Algérie et la place des enfants des colonies dans la cinquième république
Saïd Bouamama : Immigration, colonisation et domination. L’apport d’Abdelmalek Sayad
Laure Pitti : Différenciations ethniques et luttes ouvrières à Renault-Billancourt (Entretien)
Abdellali Hajjat : L’expérience politique du Mouvement des travailleurs arabes
Houria Bouteldja : Féminisme et antiracisme
Myriam Paris, Elsa Dorlin : Genre, esclavage et racisme : la fabrication de la virilité
Philippe Pierre-Charles : Actualité de Fanon en Martinique : une actualité de sommation !
Jean Nanga : FrançAfrique : les ruses de la raison postcoloniale
Sylvie Thénault : L’historien et le postcolonialisme

Recensions :
Alexandre Mamarbachi : Quand La Fracture coloniale a fait disparaître les rapports de classes
Thierry Labica : Antinomies of Modernity : Essays on Race, Orient, Nation
Jean Ducange : Alain Ruscio,La Question coloniale dans l’Humanité (1904-2004).

Revue Contretemps n° 16 Parue le 11 mai 2006 192 pages - Prix : 19 Euros

27 mai 2006

 

WHY DID THE BANLIEUES BURN ?



Article paru dans le n° 136 de la revue Radical Philosophy (mars/avril 2006)

The violence on French housing estates in November 2005, which saw thousands of cars burnt, attacks on public buildings, occasional Belfast-style confrontations between police and young rioters and police helicopters overflying residential suburbs, sent shock waves through French society. The scale of the violence and repression was unprecedented. One month after the return to ‘normal’, over 800 young people had been imprisoned, often after the mere pretence of a fair trial.

When the revolt began, the entire Establishment was caught by surprise. Yet the crisis did not come out of the blue. Police statistics revealed that since the beginning of the year, on average nearly a hundred cars had been burnt every week. What happened in November was a sudden increase in tension after the death of two boys in an electricity substation in Clichy-sous-Bois, a town in the northern suburbs of Paris dominated by bleak high-rise housing projects. They had been fleeing police after a reported robbery, which turned out never to have happened. When interior minister (and would-be president) Nicolas Sarkozy announced an inquiry into the boys’ deaths, only to repeat in the next breath the inaccurate version given by the local police, he added fuel to the fire. A few days later, a tear-gas canister exploded near the entrance of a mosque during Friday prayers (significantly, the riot police claim they didn’t know the mosque was there). No regrets were expressed until long after the damage had been done. The dignified response of the victims’ families, community and religious associ­ations and the local mayor contrasted sharply with Sarkozy’s arrogant behaviour and President Chirac’s curious silence.

The riots were a conscious, if largely unorganized, response not only to years of neglect, but to repeated provocations by Sarkozy and other right-wing demagogues. For months, he has been exhorting the police to step up action against ‘troublemakers’, setting targets for deporting undocumented immigrants and declaring that ‘the scum’ would be ‘washed out of the housing estates’. Community policing has been abandoned in favour of strong-arm tactics, with Sarkozy cynically saying that it is not the role of the police to play football with young people. He has called for rioters to be deported if they are foreign nationals, although many have never lived in their country of origin (in one of the first cases the court refused to do so, saying that the boy in question was ‘perfectly integrated’).

In the aftermath of the troubles, polls showed a leap in support for the ideas of Jean-Marie Le Pen and his arch-rival, the ‘Eurosceptic’ Philippe de Villiers. Sarkozy himself may be a demagogue, but he is far from being a fool. In a deliberate break with conventional political discourse, he has spoken about the need for a measure of ‘positive discrimination’, rather than vague talk of ‘equality of opportunity’. While upping the law-and-order rhetoric, he has been busy promoting conservative Muslim leaders.

Politics of the suburbs
While of little bearing on the violence itself, Islam is at the heart of debate on the banlieues, the deprived areas on the fringes of French cities. Representations of Muslims usually depict either a withdrawal into ‘communitarianism’ and religious conservatism, or a growth in extremism. Suburbs with a large immigrant/Muslim population have in this view become ‘extraterritorial’ zones outside the Republic. Hence the rhetoric of ‘reconquest’ often used by politicians and editorialists. The reality is far more complex. Lire la suite (en anglais)

"Riots are a class act - and often they're the only alternative. France now accepts the need for social justice. No petition, peaceful march or letter to an MP could have achieved this." (The Guardian, 14 November 2005) This article by Gary Younge is spot on, though I wonder if his conclusions would be the same today.

Lire ce commentaire récent de Haoues Seniguer sur les émeutes de novembre paru sur Oumma.com.

La France face à ses musulmans: Émeutes, jihadisme et dépolitisation, Rapport de l'International Crisis group, Europe N°172, 9 mars 2006. Quelques idées intéressantes, et des conseils de 'bon sens' au gouvernement, aux partis politiques, aux militants ...

Yves Coleman's article Dancing With the Wolves : The Riots in France in Against the Current n° 120 (Jan-Feb 2006) is also useful.

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26 mai 2006

 

ROUGE - L'EDITO DE LA SEMAINE


Pour nourrir les dividendes...


Le 12 mai, EADS annonçait la fermeture de l’usine de sa filiale Sogerma de Mérignac, soit la suppression de 1 050 emplois - 6 000 du fait des effets collatéraux sur les sous-traitants. Et cela, au moment même où la chronique de l’affaire Clearstream révélait les liens étroits et, semble-t-il, corrompus, que le même trust entretient avec les hommes politiques.

Pourtant, le groupe connaît une hausse record de ses profits. Ses dividendes ont augmenté de 30%. L’indignation provoquée par le cynisme de cette décision, la lutte des salariés ont obligé le gouvernement à demander à EADS un moratoire. Celui-ci devait durer jusqu’en juin et des négociations devaient s’engager pour rediscuter de l’avenir de l’usine de Mérignac. Mais, sans attendre, le patron d’EADS, Noël Forgeard, joue la provocation, en déclarant qu’il n’a, lui, aucune autre solution que la fermeture.

Il y a là un concentré de la politique des patrons. Comme dans ce cas de licenciement d’une femme embauchée avec un contrat nouvelles embauches (CNE), et mise à la porte le lendemain, après avoir dit qu’elle était enceinte ! La même semaine, DBApparel annonçait 450 licenciements, dont 404 chez Dim. Puis, le groupe Stanley décidait la fermeture de l’usine d’outillage Facom, soit 229 licenciements. L’équipementier automobile Sandem, près de Rennes, organisait la suppression de 150 à 200 emplois après les congés d’été.

Dans les hôpitaux aussi, on licencie ou, plutôt, on ne remplace pas les départs, créant une situation dramatique tant pour les malades que pour le personnel... Des milliers de vies humaines sont ainsi brisées pour que la Bourse puisse continuer de distribuer généreusement des milliards d’euros de dividendes, 30 en 2005, soit 40 % de plus qu’en 2004. Pour qu’aussi les dirigeants du gigantesque Monopoly qu’est l’économie mondiale puissent mener leur bataille pour étendre leur pouvoir en engloutissant des milliards dans des OPA comme celle déclenchée par Mittal Steel sur Arcelor.

Pour que les bourses ne s’effondrent pas dans un nouveau krach, il faut toujours plus de profits pour nourrir la finance, qui dévore ainsi les richesses produites et sacrifie des millions de vies humaines. Les licenciements d’aujourd’hui sont les profits de demain. Il faut rompre avec cette logique infernale.

Yvan Lemaitre

 

La LCR et la campagne pour des candidatures antilibérales




Le dernier numéro de Rouge, l'hebdo de la LCR, vient d'arriver. La Ligue semble plus divisée que jamais sur la question de la traduction politique des deux grandes victoires de l'année qui vient de s'écouler - celle du 29 mai et celle contre le CPE. Grosso modo il y a trois positions en lice. A la page 6, la majorité (Plate-formes 1 et 2) persiste et signe dans son refus de signer l'Appel pour des candidatures unitaires, voire même d'adhérer en tant que telle aux Collectifs unitaires, tout en se disant prête à "participer en tant qu'observateur". Désolé, mais cela me laisse confus - c'est soit on "observe", soit on "participe", mais vouloir les deux à la fois donne l'impression de vouloir le beurre et l'argent du beurre. Là où les tenants de cette ligne interviennent dans des réunions des Collectifs locaux ils courent le risque de paraître à la fois comme sectaires et opportunistes (dans ma ville les réactions dans la salle étaient franchement hostiles).
A la page 13, deux autres positions s'expriment. Les P-F 3 et 4 sont pour la signature de l'Appel et une pleine participation aux Collectifs, avec comme objectif de "clarifier le contenu de l'unité nécessaire de la gauche antilibérale et anticapitaliste". La (petite) P-F 5, animée par le courant Avanti! , quant à elle, occupe une position intermédiaire : ne pas signer l'Appel, le critiquer pour son manque de clareté, mais "miser sur la dynamique unitaire et proposer que l'on commence maintenant de parler du programme". Elle conclut, avec raison, que la position de la majorité revient à "abandonner le terrain au PCF".
Une conférence extraordinaire de la Ligue en juin devrait trancher la question de la candidature (ou pas) de Besancenot. Il y a fort à parier qu'elle n'arrivera à satisfaire pleinement aucune des différentes tendances.


 

ELECTIONS LOCALES EN ANGLETERRE : ECHEC POUR BLAIR, PERCEE LOCALE POUR LA GAUCHE RADICALE ET ANTI-GUERRE



RESPECT – THE UNITY COALITION : DES RESULTATS SIGNIFICATIFS AUX ELECTIONS LOCALES EN ANGLETERRE DU 4 MAI 2006.

Ces élections ne concernaient que l’Angleterre et seulement une partie des conseillers municipaux. Sauf à Londres où tous les sièges étaient en jeu. Mais dans le contexte actuel de déliquescence du régime de Tony Blair, elles avaient valeur de test national. D’ailleurs, Blair a immédiatement réagi par un remaniement gouvernemental « brutal » (selon la presse), espérant ainsi s’accrocher au pouvoir.
Le principal bénéficiaire de la défaite travailliste est le Parti Conservateur, « relooké » par son nouveau leader qui penche plutôt vers le centre. Dans les médias, on parle également de la « percée » du British National Party (anti-immigrés, anti-Musulmans, anti-demandeurs d’asile ...), qui obtient 11 élus sur 13 candidats à Barking et Dagenham (banlieue ouvrière de Londres) et possède 50 conseillers locaux en tout.
La coalition de la gauche radicale RESPECT a présenté 169 candidats, dont 139 à Londres. Elle présentait des listes complètes dans seulement deux villes : Tower Hamlets et Newham, toutes les deux dans la banlieue est de Londres. 16 candidats sont élus dans trois villes (15 nouveaux, 1 réélu).
TOWER HAMLETS : Sur 48 candidats, 12 sont élus. Respect devient la principale opposition à l’administration travailliste. Dans une circonscription, les 3 candidats de Respect battent le dirigeant travailliste, leader du Conseil Municipal sortant (équivalent du maire) et son principal adjoint, qui perdent leur siège.
NEWHAM : Le candidat de Respect à l’élection directe du maire termine en 2ème position, derrière le maire sortant New Labour. Sur l’ensemble de la commune, Respect obtient 26 % des voix, derrière New Labour (48 %) mais loin devant les autres partis (Conservateurs 15 %, Lib Dems 2 %), mais ne gagne que 3 sièges. Dans plusieurs autres circonscriptions, ils arrivent en 2ème position.
BIRMINGHAM : A Sparkbrook, Salma YAQOOB, vice-présidente nationale de la Stop the War Coalition, est élue avec 55 % des voix. Le journal local fait remarquer qu’elle sera la première conseillère municipale de la ville à porter le hijab. Dans 2 autres circonscriptions, les candidats de Respect terminent en 3ème position, avec 21,5 % et 19,3 %.
A PRESTON dans le Nord-Ouest, la Coalition a manqué de justesse (7 voix d’écart) de faire élire un troisième conseiller. Sur ses 5 candidats, 4 terminent en 2ème position.
SHEFFIELD : Respect recueillit 25,9 % des voix dans une circonscription.
BRISTOL : Un syndicaliste connu, récemment licencié par British Aerospace, termine en 2ème position, avec 25 % des voix dans sa circonscription.
MANCHESTER : Une candidate : 3ème position (21,8 %).
Dans d’autres régions, Respect se place régulièrement, là où elle a les moyens de se présenter, devant des candidats des grands partis nationaux et des Verts.
Les Verts passent de 60 élus à 89 élus. Le parti Vert est difficile à classer : certains candidats sont très à gauche et militent contre la guerre en Irak, d’autres sont plutôt centristes, voire prêts à s’allier localement avec la droite.
La gauche radicale ne se limite pas à Respect, des candidats se présentant sous différentes étiquettes politiques (Socialist Party, Socialist Alternative, Independent Working Class Association, Communist Party of Britain, Socialist Unity, Socialist Labour Party, Democratic Labour , Alliance for Green Socialism, etc.) ou bien au nom d’une lutte locale (contre la fermeture d’un hôpital …). Certaines de ces organisations n’existent que dans une seule ville. D’autres sont ultra-marginales et/ou sectaires. Il semble que, pour une fois, toutes ces organisations, avec Respect, ont réussi à ne pas se gêner en évitant de se présenter dans les mêmes circonscriptions. A Coventry, la Socialist Alternative a présenté 5 candidats, qui ont obtenu de bons résultats et 1 nouvel élu. Le Socialist Party (trotskiste) a 7 élus en tout, dont certains sous d’autres étiquettes comme … Socialist Alternative.

IN ENGLISH, READ THIS ANSWER BY JACOB MIDDLETON TO CHARGES THAT RESPECT'S POLITICS ENCOURAGE 'COMMUNALISM' (IN SOCIALIST REVIEW, JUNE 2006)

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Peut-on être de gauche et islamophobe ?


EN INTRODUCTION A UN TEXTE DE CATHERINE SAMARY (à paraître dans le prochain numéro de Socialisme International).

Nous sommes heureux de proposer à nos lecteurs ce texte de Catherine Samary, qu’elle a bien voulu nous autoriser à publier. Catherine Samary a été parmi les premières militantes à s’opposer publiquement et à l’intérieur de sa propre organisation, la LCR, à l’attitude de la majorité des militant(e)s de gauche dans l’affaire de la fameuse loi contre le « voile islamique ».

Catherine souligne à juste titre la contradiction entre la position adoptée par la LCR quand la première affaire du foulard a éclaté en 1989, et celle adoptée en 2004. Entre temps, il est vrai, la présence d’une minorité musulmane de plus en plus visible – des immigrés mais aussi une, voire deux générations nées sur le sol français – a été habilement exploitée par des courants réactionnaires pour renforcer leur influence dans les milieux populaires et ouvriers. La fixation des médias sur l’influence des « imams étrangers » et la prétendue « menace islamiste » dans les banlieues, dans un contexte international marqué par les attentats du 11 septembre et la propagande en faveur de la guerre du monde « civilisé » contre des fanatiques musulmans, a fait de considérables dégâts au sein de la population. Il serait naïf de croire que cette ambiance n’a pas produit ses effets jusqu’à dans les rangs de l’extrême gauche – au point où certains camarades, sans doute pris de panique et manquant de formation sur cette question, nous sortaient à l’époque des arguments qu’on pourrait qualifier d’ « islamophobes de gauche ».

Catherine est parmi ceux et celles – très peu nombreux à gauche – qui ont cherché à comprendre les différents courants de pensée au sein de la communauté musulmane et à nouer des liens positifs avec les groupes et les individus les plus ouverts. Ce texte est un bon exemple de la rigueur intellectuelle et du sens de la pédagogie dont elle a toujours fait preuve, mais ne donne pas une idée adéquate de l’extrême patience et de la gentillesse qui la caractérisent dans se rapports avec ses opposants, comme avec ceux qui partagent son point de vue. Nous croyons même qu’elle est un brin trop gentille !

Dans son texte, Catherine critique ce qu’elle appelle le « campisme », qui consiste à traiter ses opposants (au sein de la gauche) en ennemis et à adopter l’attitude que « ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous ». Ce campisme existe d’abord chez les militants laïcs et féministes, partisans de l’interdiction des signes religieux ou de la position « ni ni », pour lesquels ceux qui défendent le droit de porter – ou le cas échéant de ne pas porter – le voile sont nécessairement des « pro-voile », ce qui a été dit et répété des milliers de fois publiquement et dans des débats internes. A tel point qu’on commence à croire qu’ils le pensent vraiment ! Le campisme peut exister également parmi ceux qui défendent les jeunes filles voilées et plus généralement luttent contre la diabolisation des musulmans.

Là où nous avons parfois des désaccords, généralement tactiques, avec Catherine, c’est quand elle refuse le terme « combat », lui préférant celui de « débat », pour caractériser l’opposition de la minorité à la tendance majoritaire. Certes, le débat est utile, et peut conduire les uns et les autres à changer, ou à approfondir, de point de vue. A Socialisme International, nous avons participé à ce débat, à travers de nombreux articles dans cette revue mais également dans le débat interne à la LCR et sur des forums. Mais ce « dialogue », aussi enrichissant qu’il puisse être pour les participants, ne doit pas devenir un débat qui tourne en rond et qui reste limité à des cercles universitaires. Dans la gauche, sur cette question, il y a bien un combat d’idées et une lutte politique à mener, car les enjeux ne sont pas purement intellectuels, mais concernent l’avenir d’une fraction significative de la population et celui du mouvement ouvrier et anti-capitaliste dans son ensemble. Il est d’ailleurs regrettable que la minorité « foulard » de la LCR ait été relativement timide et soit tombée actuellement dans un état de sommeil, alors que certains camarades se découragent ou quittent l’organisation sur la pointe des pieds. Ne pas tomber dans un campisme binaire caricatural et simplificateur, d’accord – ne pas défendre ses couleurs quand c’est nécessaire, pas d’accord !

Nous n’avons pas l’espace ici de faire la critique du cadre théorique de l’article de Catherine, avec lequel nous sommes tout à fait à l’aise. Nous partageons complètement sa critique de l’ « ouvriérisme » de certains (disons-le clairement, de groupes trotskistes comme LO et le PT, ainsi que de la Plate-forme 2 de la LCR, notamment), mais soulignerions sans doute un peu plus le fait que la prise en compte des revendications, des sensibilités et des spécificités des minorités opprimées par le mouvement marxiste est dans la plus pure tradition… léniniste. Nous ne défendons pas la liberté d’expression religieuse malgré notre marxisme, mais justement parce que nous sommes marxistes.

D’autres points sont à discuter. Il est par exemple grand temps que la question du « multiculturalisme » soit sérieusement débattu, au lieu d’être utilisé comme repoussoir par des partisans de l’ « universalisme français ». Le multiculturalisme n’est pas, contrairement à une attitude très répandue dans la gauche française, un produit du néo-libéralisme « anglo-saxon », mais à bien des égards un des acquis du radicalisme des années soixante – et un acquis qui doit être défendu contre l’offensive réactionnaire actuelle. Or, dans ce texte, la référence de Catherine au soi-disant « modèle anglo-saxon » est assez ambiguë.

Sur la religion, Catherine fait des remarques très justes. Il nous semble que les croyances religieuses doivent être analysées dans le contexte de l’oppression dont souffrent toutes les couches populaires, et notamment les immigrés (et plus particulièrement les immigréEs, victimes de plusieurs oppressions à la fois). A cet égard, si nous parlons très souvent, et à juste titre, de l’islam, personne, à ma connaissance, ne semble sérieusement s’intéresser à un phénomène analogue qui touche les communautés noires (comme les africains, les domiens, les haïtiens et même les indo-pakistanais) en particulier – celui du succès et de l’hyper-activisme des églises charismatiques et évangéliques. Ce phénomène, il me semble, est encore plus difficile à cerner que celui de la montée de l’islam, ce qui peut rebuter les chercheurs et les militants « blancs » et non-croyants les plus hardis. Or, si je ne me trompe pas, des centaines de milliers d’adhérents de ces églises font aussi partie de la classe ouvrière, et sont au moins aussi discriminés que la minorité musulmane. Nous avons, il me semble, un très long chemin à faire avant de pouvoir unir tous les combats des opprimés et des exploités. Ce n’est sûrement pas en se basant sur l’idéologie officielle et bien fatiguée du « modèle républicain français » que nous allons arriver ! [L'article de Catherine SAMARY paraîtra dans le numéro 15-16 de la revue Socialisme International, juin 2006]

POSTSCRIPTUM DE LAURENT LEVY

L'article de Catherine Samary, 'Au delà du voile et de la laïcité', a été publié sur le site du Mouvement des Indigènes de la République. Il a été suivi d'une note de Laurent Lévy qui contient des précisions intéressantes sur l'affaire d'Aubervilliers :

"J’espère que Catherine Samary ne m’en voudra pas de rectifier un point de fait de son article, qui concerne ce dont je peux témoigner, pour avoir été personellement dans l’oeil du cyclone. Elle m’en voudra d’autant moins que la formule qu’elle emploie est très probablement un simple dérapage de plume, puisqu’elle connait la réalité du déroulement de cette affaire - j’ai eu l’occasion d’en parler avec elle la première fois que je l’ai rencontrée, en janvier 2004.

Catherine écrit : "« l’affaire d’Aubervilliers » où l’exclusion des jeunes filles Lévy fut finalement acceptée par un enseignant membre du BP de la LCR."

L’inexactitude porte sur l’expression "fut finalement acceptée". Cette formulation pourrait laisser entendre que la seule chose que l’on pourrait reprocher à ce membre de premier plan de la direction de la LCR, Pierre-François Grond, aurait été de ne pas mener bataille contre l’exclusion, de s’y êtrer résigné, de l’avoir combattue mollement pour, en désespoiur de cause, l’accepter. Et il est vrai que cela serait certainement déjà une honte pour une personne se prétendant un dirigeant "révolutionnaire".

Mais les choses ne se sont pas déroulées ainsi. Pierre-François Grond était le professeur d’histoire et de géographie, et le professeur principal, de l’une de ces deux lycéennes, alors âgée de 16 ans. Il fut en réalité l’un des véritables organisateurs de son exclusion, au motif qu’elle était "militante", tout en précisant qu’elle était "intelligente", et "élève par ailleurs vive et agréable".

A supposer un enjeu idéologique majeur à cette question de vêtements (un autre militant de la LCR, Rémi Dulocquin, expliquait doctement que l’exclusion aurait pu être évité si les lycéennes en cause avaient accepté de laisser dépasser le lobe de leur oreille et une mèche de cheveux de leur foulard...), force est de noter que, à moins de quinze jours de la rentrée, un professeur d’histoire qui capitule en rase campagne devant une enfant de seize ans et renonce à tout effort pédagogique et de conviction ne mérite ni le titre de professeur, ni celui de militant révolutionnaire.

Notons aussi que, même non fondée, "l’accusation" de militantisme avait quelque chose d’étrange dans la bouche d’une personne qui fut elle même dirigeante d’une organisation politique de jeunesse.

Pierre-François Grond a mené bataille pour ces exclusions, en collusion avec d’autres militants de la LCR du lycée (Mathiew Berrebi, Rémi Dulocquin...) et des militant-es de Lutte Ouvrière (Georges Vartaniantz, Loris Castellani, Lise Tchao...). Il est vrai que la période était aux grandes embrassades pré-électorales entre les deux formations d’extrême-gauche.

L’expression "ni voile ni loi" prend tout son sens dans cette organisation d’une exclusion sans loi de filles voilées. L’attitude de ce dirigeant de la LCR n’a d’ailleurs fait l’objet d’aucune contestation officielle de son organisation. L’hebdomadaire Rouge lui a même ouvert ses colonnes, pour y présenter, en complicité avec Matthiew Berrebi, une version falsifiée de toute l’histoire. Un rectificatif que j’avais alors adressé est resté lettre morte.

Les quelques personnes qui ont vu le petit sourire de satisfaction triomphante de Pierre-François Grond lorsqu’a été annoncée l’exclusion définitive de cette lycéenne de 16 ans, "élève par ailleurs vive et agréable", ne l’oublieront pas de sitôt.

Je tenais à rectifier ce point."

Merci pour ces détails, Laurent !

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La banalisation de l’islamophobie et l’affaire des caricatures



Que la droite française utilise le racisme anti-musulman pour construire sa logique de bouc émissaire pour détourner l’attention des vrais problèmes des salariés – rien de moins étonnant. Que la gauche dans sa quasi-totalité refuse de défendre les musulmans contre le racisme est une erreur gravissime et dangereuse. Dans cet article CLAUDE MEUNIER retrace « l’affaire des caricatures » et accuse la gauche et l’extrême gauche d’abandon de poste dans la lutte contre toutes les oppressions, lutte sans laquelle l’anticapitalisme a peu d’avenir. [Article à paraître dans le numéro15-16 de la revue Socialisme International, juin 2006]

De Claude Meunier, dans Socialisme International n° 9 (janvier 2004) : Marxisme et religion et La religion peut-elle être de gauche ?

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LA LUTTE POUR LE MARIAGE HOMOSEXUEL AUX ETATS-UNIS



2004 : le mouvement pour le mariage homosexuel aux Etats-Unis

Jessie Kindig de l'ISO (Etats-Unis)

Depuis la naissance du mouvement pour la libération homosexuelle, qui jaillit au sein des mouvements radicaux anti-guerre, féministe et noir des années 1960, les homosexuel(le)s aux Etats-Unis ont gagné la reconnaissance sociale et la fin d’une culture anti-gay incroyablement répressive. Aujourd’hui on trouve des homosexuel(le)s partout, au Congrès comme dans les sitcoms à la télévision, et les homos bénéficient, grâce à plusieurs décennies d’activisme, non seulement d’une grande visibilité et d’une dignité retrouvée, mais de services qui vont de cliniques à des librairies en passant par des associations homo/hétéro dans les lycées.

Mais l’égalité n’existe pas encore : des meurtres d’homosexuel(le)s ont lieu chaque année, beaucoup d’homosexuel(le)s qui vivent en dehors des communautés gays florissantes n’osent pas sortir du placard et chaque année électorale la droite agite l’épouvantail du mariage gay, qui pour eux signifie la fin de « l’institution du mariage », à des fins électorales.

Seulement quatorze des cinquante Etats ont des lois qui interdisent la discrimination basée sur l’orientation sexuelle, et trente-cinq pour cent des jeunes sans-abri s’identifient comme « gay, bi- ou trans- ». Et, naturellement, les couples homos n’ont pas le droit de se marier, ce qui signifie entre autres des frais médicaux supplémentaires, des droits de visite à l’hôpital limités et des impôts plus élevés.

Dans ce contexte, le mouvement pour le mariage homosexuel qui explosa aux Etats-Unis au printemps 2004 nous donne un aperçu du potentiel du mouvement pour les droits des homosexuel(le)s de revendiquer – et gagner – de nouvelles avancées vers l’égalité. En février et mars, des couples gays défièrent les lois des Etats et se marièrent de New York à l’Oregon et au Nouveau Mexique, le mouvement commença à revendiquer davantage que de simples concessions, et il semblait que nous étions sur le point de gagner après un combat de plusieurs décennies. Mais la dissolution du mouvement dans la campagne présidentielle du Parti démocrate en 2004 souligna le besoin urgent pour la gauche américaine de construire et développer une politique indépendante du réformisme des Démocrates.

De l’union civile au mariage gay

Aux Etats-Unis, il n’y a aucune loi fédérale qui autorise ou qui interdit le mariage homosexuel – ce sont les gouvernements et les cours suprêmes de chacun des cinquante Etats qui décident. Malgré, ou à cause de cela, les choses ne sont pas faciles à changer. Comme à l’époque de la ségrégation raciale, l’autonomie des Etats est utilisée par la droite pour contourner les idéaux de liberté et d’égalité qui sont inscrits dans la Constitution fédérale.

Aujourd’hui (mars 2006), le mariage homosexuel n’est autorisé que dans l’Etat de Massachusetts. Dans six autres – le Connecticut, le Vermont, Hawaii, Maine, le New Jersey, et la Californie – il existe quelques droits pour les couples gays et lesbiens. La bataille est loin d’être terminée – dans quinze Etats des législateurs cherchent à amender la Constitution dans le but d’empêcher la reconnaissance des couples du même sexe.

Depuis le début des années 1990, la question du mariage des homosexuel(l)s est devenue le champ de bataille le plus important dans la lutte pour les droits des homosexuel(le)s. Le mariage n’est pas une simple question de reconnaissance sociétale, mais a des implications juridiques très concretes. Aux Etats-Unis, il existe 1 400 lois différentes qui s’appliquent à des couples mariés – qui vont de réductions d’impôts à des droits de visite à l’hôpital – qui ne s’appliquent pas à des couples non-mariés. En 1993, Hawaii est devenu le premier Etat à décider que le refus du droit de se marier constituait une discrimination aux yeux de la loi ; en 2000 le Vermont autorisa les « unions civiles » - une forme de quasi-mariage qui accorde certains droits (environ 350) mais pas tous.

En 2004, cependant, le mouvement explosa, et pendant deux mois extraordinaires des milliers de couples homosexuels demandaient et recevaient des licences de mariage à la mairie, aux tribunaux et – ce qui est beaucoup plus important – dans la rue.

« C’était comme la fin de l’apartheid »

En novembre 2003, la cour suprême de l’Etat de Massachusetts enfin statua sur une action intentée deux ans auparavant par des employés homosexuels du service de santé de l’Etat. Contre toute attente, la cour décida que l’interdiction faite aux gays et aux lesbiennes de se marier était discriminatoire, et de ce fait elle la jugea interdite par la Constitution de l’Etat, qui garantit l’égalité des droits pour tous les citoyens. Dans son jugement, elle fit explicitement référence aux lois tristement célèbres de l’époque de la ségrégation raciale dans les Etats du Sud.

Cette décision donna le feu vert à une vague d’actions dans tout le pays, en opposition directe à la campagne de George Bush en faveur des « valeurs de la famille » - une campagne qui visait les gays, les lesbiennes et les droits des femmes. Les militants homos étaient prêts à dépasser la revendication du système à deux étages des unions civiles. Valerie Fein-Zachary, présidente de la coalition Freedom to Marry dans le Massachusetts l’exprima ainsi: « Pendant les dix dernières années ils n’ont pas voulu nous accorder des droits. Tout d’un coup ils veulent nous en donner 350 avec leurs unions civiles. Eh bien, nous venons d’en obtenir 1 400. C’est ça la différence entre les unions civiles et le mariage civil. »

Le 12 février 2004, en réponse aux protestations de masse en faveur du droit au mariage, le maire de San Francisco, Gavin Newsom, ordonna à ses employés d’accorder des licences de mariage « sans distinction de genre ». Certains couples avaient déjà pris leurs dispositions, d’autres se sont précipitèrent à la mairie pendant l’heure du repas, mais à treize heures la file d’attente allait déjà jusqu’aux marches du bâtiment. Certains couples avaient mis des robes de mariage, d’autres des costumes, des tiares, des jeans ou des chaussures de sport. Des partisans des droits des homosexuel(le)s dans les Etats réputés conservateurs du Mid-West envoyèrent des bouquets de fleurs. Toni Broaddus, qui s’unit avec sa partenaire de onze ans, dit: « C’est un instant très personnel et un évènement historique incroyable. »

Une des participantes, Kathryn Lybarger, décrivit ainsi ses sentiments: « Cette fois-ci, les larmes venaient de notre réalisation que nous disions « Oui, je le veux » ensemble, pour la première fois dans l’histoire. Mon ami James m’a dit que c’était un peu comme la fin de l’apartheid ou la chute du mur de Berlin. »

Le mouvement pour les droits des homosexuel(le)s, qui s’était enlisé au cours des années 1990 après de nombreuses défaites, prit un nouvel élan. Quand George Bush assura sa base conservatrice la semaine suivante que « le mariage ne peut être séparé de ses racines culturelles, religieuses et naturelles » sans affaiblir la société américaine, et fit la promesse qu’il signerait une loi constitutionnelle interdisant le mariage gay (ce qui aurait comme effet de l’interdire dans tous les Etats), cela provoqua la colère des activistes et dynamisa le mouvement, au lieu de l’intimider.

Des sections syndicales dans le Massachusetts, du syndicat international des employés des services et l’Association des enseignants de Massachusetts au syndicat uni des travailleurs de l’automobile (United Auto Workers Union), votèrent pour soutenir la résolution de l’Etat en faveur du mariage gay ou contre une loi constitutionnelle l’interdisant.

En l’espace de quelques semaines, il s’était crée un espace pour exprimer la colère contre la tentative de la droite de reléguer les homos, les lesbiennes, les bisexuel(le)s et les transexuel(le)s à un statut de citoyens de deuxième zone – et pour revendiquer des droits égaux pour tou(te)s. L’esprit de San Francisco inspira les centaines de personnes qui se rassemblaient devant les mairies de Seattle, de Chicago, de Boston ou de Providence, Rhode Island. A New Paltz, dans l’Etat de New York, le maire Vert, Jason West, commença à accorder des licences de mariage malgré l’interdiction du mariage gay par l’Etat. Des officiers d’Etat civil à Sandoval County, New Mexico et à Portland, Oregon, marièrent des couples du même sexe. Le 3 mars 2004, deux mille personnes assistèrent à un rassemblement organisé par la Campagne pour les droits de l’Homme (Human Rights Campaign) à Washington. Des activistes aguerris furent surpris de constater qu’ils avaient affaire au mouvement pour la justice sociale le plus dynamique depuis des décennies.

Un nouveau mouvement pour les droits civiques

La cour suprême du Massachusetts n’était pas la seule à établir un lien entre la lutte pour les droits des homosexuel(le)s et le mouvement pour les droits civiques qui réussit dans les années soixante à mettre hors-la-loi la ségrégation raciale officielle dans le Sud des Etats-Unis. Les unions civiles, qui représentaient malgré tout un pas en avant, créèrent un système de droits à deux étages, et le nouveau mouvement poussait dans le sens de l’égalité complète sans aucun compromis. Pour la nouvelle mariée Cynthia Ricket, dont les propos furent rapportés par le San Francisco Chronicle, « Tout le monde a le droit de s’aimer. Il est grand temps que nous quittions l’arrière du bus » – comme les Noirs dans les Etats du Sud après le geste célèbre de Rosa Parks.

Dès le démarrage du mouvement, il y eut une réaction de la part des défenseurs des « valeurs de la famille » - des groupes qui ont des objectifs politiques clairs de droite et beaucoup d’argent à dépenser. Des organisations comme la Campagne pour les familles californiennes essayèrent de faire voter des lois interdisant le mariage gay au niveau de l’Etat, et exploitèrent le conservatisme de certaines églises afro-américaines dans le but de discréditer l’idée, promue par le mouvement gay lui-même, d’un lien avec le mouvement pour les droits civiques des Noirs des années 1950.

Mais peu d’afro-américains ont été trompés par les bigots. Dans l’Etat de Géorgie, le vote de dirigeants religieux noirs membres de la Chambre des Représentants contre une interdiction par voie constitutionnelle du mariage homosexuel fut décisif, même si la victoire fut temporaire. « Ce que je vois ici est de la haine », a dit Georganna Sinkfield, députée à la Chambre, au New York Times. « Je suis chrétienne, mais si c’est inscrit dans la Constitution, qu’est-ce qu’on va nous faire la prochaine fois ? S’en prendre à des gens aux cheveux foncés ? On est en train d’ouvrir la voie à des gens qui veulent promouvoir leurs propres préjugés. »

Le 16 février, le journaliste afro-américain Derrick Jackson interpella les dirigeants religieux noirs : « Si les pasteurs aujourd’hui reconnaissaient courageusement leur lien avec la cause des droits civiques pour les gays ils découvriraient que cela ne ferait pas de mal. Ils pourraient découvrir que cela leur donnerait des alliés dans leur propre combat pour l’égalité. »

Un personnage aussi prestigieux que Coretta Scott King, veuve de Martin Luther King, répondit aux calomnies de Bush: « Un amendement à la Constitution interdisant les mariages entre des personnes du même sexe est une forme de violence contre les homosexuels et ne ferait rien pour protéger le mariage traditionnel. »
Une minorité à gauche dénonça le mouvement, en argumentant que le mariage était une institution bourgeoise et un produit de la société bourgeoise. Le journaliste radical Alexander Cockburn écrivit : « Pourquoi applaudir quand l’Etat et l’Eglise étendent leur pouvoir, ce qui est le véritable sens du mariage ? L’assimilation n’est pas la libération, et l’évocation de l’ « égalité » comme le fruit de ces mariages gays est une idée qui devrait être critiquée. »
Il est vrai que, en tant que socialistes, nous voulons un monde où l’Etat n’a pas son mot à dire en ce qui concerne la vie privée des gens et où tout le monde est libre de choisir sa façon de vivre. Mais la lutte pour le mariage gay est une lutte pour la reconnaissance légale et sociétale, pour des droits élémentaires et pour la dignité. Gagner ce combat serait un coup porté contre l’homophobie ouverte de la droite conservatrice. La vraie question n’est pas l’institution du mariage, mais la discrimination officielle à l’encontre des homosexuel(le)s.
L’impasse du Parti démocrate
Au cœur du débat à l’intérieur du mouvement il y avait la question stratégique : fallait-il se concentrer sur l’utilisation de moyens juridiques ou continuer la mobilisation dans la rue ? En mars, le gouvernement de l’Etat de Californie obligea la ville de San Francisco d’arrêter d’accorder des licences de mariage. Au lieu de mener un combat contre cette décision, la majorité des groupes gays défendit une stratégie – forcément longue et démobilisatrice – d’appels devant les tribunaux. Une telle politique est enracinée dans le soutien traditionnel de la gauche américaine au Parti démocrate
Le mouvement avait pris son essor dans une période préélectorale, et les Démocrates jouaient sur deux registres – surfer sur le soutien massif au mariage gay sans aliéner leurs sponsors conservateurs. Le candidat démocrate John Kerry, soutenu par d’autres porte-parole du parti, prit position contre une interdiction constitutionnelle du mariage homosexuel, mais insista que, pour lui, « le mariage est entre un homme et une femme ». Il déclara, à la manière des ségrégationnistes d’antan, qu’on devait laisser la décision aux Etats, et il défendit l’union civile contre le mariage.
L’attitude de Kerry finit par décourager beaucoup d’activistes, qui attendaient de l’aile « gauche » de l’establishment politique qu’elle soit le reflet du mouvement. Mais l’acceptation de la ségrégation par Kerry n’a rien de surprenant. Parce que les Démocrates sont un parti capitaliste, qui protége l’Etat, les intérêts des grandes entreprises, et le système tel qu’il existe, ils sont condamnés à être « l’équipe B » du système politique américain – le parti auquel on fait appel quand l’aile dure du système, les Républicains, a réussi à aliéner trop d’électeurs. Dans le système rigide bipartidaire américain, où toute tentative de former un parti indépendant à gauche est considérée comme « irréaliste » et créatrice de divisions, la gauche est trop souvent tombée dans le piège tragique de croire que la ligne molle du Parti démocrate est la meilleure dont on peut éspérer.
Cette logique fut exprimée de façon particulièrement tordue par un député ouvertement gay à la Chambre de l’Etat de Massachusetts, Barney Frank. Il demanda au maire de San Francisco d’arrêter d’accorder des licences de mariage à des couples du même sexe parce que « ce n’était pas le moment ».
Malheureusement, beaucoup de militant(e)s de gauche américain(e)s acceptent cette logique du moindre mal, et certains défendirent publiquement la décision de Kerry. Sur le site progressiste Common Dreams, Mark Engler écrivit: « Pour gagner contre Bush, Kerry doit choisir son terrain de bataille. Le mariage gay n’est pas le bon terrain. Il ne s’agit pas d’être cynique. C’est une réalité. »
Dans les mois qui précédèrent l’élection présidentielle de 2004, la majorité de la gauche américaine accepta cette logique et avança fièrement le mot d’ordre « Tout sauf Bush », en attaquant tous ceux qui osèrent critiquer John Kerry, malgré son programme anti-mariage gay et pro-guerre. Mais la conséquence inévitable d’une telle politique est d’abandonner les objectifs de la gauche à des politiciens démocrates peu fiables, et cela signifia la fin du mouvement pour le mariage gay, quelques mois à peine après la naissance d’un immense espoir.
En dépit des attentes de la base, de sa volonté de se battre et de sa confiance, le mouvement pour le mariage gay – comme une grande partie de la gauche américaine – manquait d’une politique indépendante du Parti démocrate avec un message qui pourrait tenir bon pendant une année électorale intense. Conduit par des organisations modérées dominées par les classes moyennes, comme la Campagne pour les droits de l’Homme, le mouvement tomba dans le camp de Kerry et fut contraint de suivre son soutien doucereux à l’union civile.
A cause de cette position, des politiciens et des groupes d’activistes qui avaient suffisamment d’influence pour élargir le combat firent le contraire. Dans l’Etat de Rhode Island – qui est près de Massachusetts, n’a pas de loi interdisant le mariage gay et où il existe beaucoup d’officiels ouvertement homosexuels – des tentatives de demander des droits de mariage égaux ont été étouffées par des politiciens censés être favorable à la cause des gays. Il y avait beaucoup de raisons de croire que l’Etat verrait la prochaine bataille pour le mariage gay. Cependant, le sénateur Rhoda Perry, qui avait signé un projet de loi en faveur du mariage gay, ne demanda pas qu’il soit mis au vote, en disant : « Nous pensons qu’il serait mieux de ne rien faire cette année. »
Malgré son soutien verbal au mouvement, la Campagne pour les droits de l’Homme – l’organisation pour les droits des homosexuel(le)s la plus importante du pays – dépensa $8-10 millions pour soutenir les campagnes de Kerry et du sénateur Barack Obama, qui disaient explicitement qu’ils ne soutenaient pas le mariage gay. Quand des activistes de Equality California et DontAmend.com essayèrent d’obtenir le soutien de la Campagne à une caravane trans-Etats-Unis et à une manifestation nationale à Washington en automne 2004, ils obtinrent la réponse que ses militant(e)s étaient trop occupé(e)s par la campagne de Kerry.
La nécessité d’une politique indépendante

La lutte pour le mariage gay de 2004 révéla le talon d’Achille de la gauche américaine – la mainmise du Parti démocrate. Aujourd’hui le mouvement est en désarroi. Malgré quelques victoires, la tendance est à la réaction. En août 2004, juste avant l’élection présidentielle, la Californie invalida les licences de mariage de plus de 4 000 couples. La politique du moindre mal avait stoppé l’élan du mouvement et, quand la résistance n’a pu être organisée, la droite a gagné du terrain. Lors des élections de 2004, onze Etats interdirent le mariage gay.

En même temps, la lutte démontre le potentiel qui existe pour l’obtention du droit au mariage gay, ainsi que le soutien d’une grande partie de l’opinion à ce droit. Le mouvement n’a pas seulement mobilisé les activistes, il a changé les idées d’une grande partie de la population. Un sondage du Pew Research Center en mars 2006 conclut que l’opposition au mariage entre des personnes du même sexe a beaucoup baissé à travers le pays et s’élève aujourd’hui à un peu plus de 50 pour cent de la population. L’enquête montre également que le soutien à l’adoption d’enfants par des couples gays et à mener une carrière militaire sans cacher leur sexualité – une pratique qui est illégale depuis une loi du président démocrate Clinton de 1993 – ont également augmenté.

Le désir de gagner des droits égaux ne disparaîtra pas, et le mouvement reprendra peut-être dans un avenir proche. Ce fut sa politique sans compromission et souvent révolutionnaire – et notamment son refus de se dissoudre dans le Parti démocrate – qui permit à la lutte historique des années 1970 (le mouvement « Stonewall ») de gagner autant de victoires. Construire un courant indépendant et une politique révolutionnaire est une tâche à laquelle devra s’atteler aussi bien les organisations qui défendent les droits des homosexuel(le)s mais la gauche américaine toute entière. Comme l’activiste nouvellement mariée Kathryn Lybarger constata en février 2004 : « Nous ne pouvons pas compter sur eux – Kerry ne soutient pas le mariage gay – pour gagner nos droits. Newsom [le maire de San Francisco] n’aurait pas pu faire ce qu’il a fait si le public ne nous soutenait pas largement. Nous devons construire un mouvement sur la base ce soutien, et sur le nouvel espoir et la confiance qui ont émergé, pour défendre nos gains et gagner des droits civiques complets. »

Jessie Kindig milite à l’International Socialist Organization aux Etats-Unis. Elle a écrit cet article pour Socialisme International. Traduction de Claude Meunier.

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