12 juillet 2008

 

Lindsey German : "Les avancées des années 1970 se sont heurtées aux limites imposées par une société de classe"

Lindsey German est une féministe qui défend sans concessions les idées du marxisme révolutionnaire. Elle a écrit notamment pour réfuter la théorie de la patriarchie selon laquelle l'oppression de la femme existe indépendamment de l'exploitation de classe. Pour créer une société où l'oppression basée sur le genre n'existe pas, il faut abolir l'exploitation basée sur la classe.

Très respectée en Grande-Bretagne, elle est membre de la direction du Socialist Workers Party et depuis sa création coordonnatrice nationale de la Stop the War Coalition. Elle a écrit plusieurs livres dont deux sur la condition féminine: Material Girls : Women, Men and Work (2007) et Sex, Class and Socialism (1989).

Lindsey German sur YouTube à Marxism 2008
En français : La famille aujourd'hui (extrait de Sex, Class and Socialism)

Lindsey German sur Wikipedia (en anglais)

Nous l'avons interviewée récemment à Londres.

Que penses-tu de la position occupée par les femmes dans la société d’aujourd’hui ?

Il n’y a pas de doute que la situation est meilleure que par le passé. Il y a eu des progrès importants en une ou deux générations, au moins en ce qui concerne les pays développés. Mais trente ou quarante ans plus tard les femmes sont toujours moins bien payées que les hommes, elles doivent consacrer plus de temps à s’occuper des enfants et elles occupent un rôle subordonné au travail.

Dans les pays en voie de développement la situation est bien pire et la vie des femmes est souvent particulièrement dure. Quant elles ont un travail elles sont toujours en bas de l’échelle. Autrement pour survivre il n’existe que très souvent l’industrie du sexe ou l’émigration et la séparation avec leurs familles.

Donc l’oppression de la femme est toujours un sujet d’actualité.

Les femmes doivent donc, selon toi, encore se battre en tant que femmes, malgré les victoires emportées dans les années 1970 ?

A l’époque, nous nous sommes battues entre autres pour le droit au travail et pour le contrôle de la sexualité. Depuis, pour l’essentiel, nous avons gagné ces droits. Mais nous subissons de longues heures de travail, la précarité et la flexibilité – tout comme les hommes, d’ailleurs.

Quant à la liberté sexuelle, la marchandisation de tous les aspects de la vie fait que notre corps est de plus en plus traités comme une commodité. L’image de la femme est exploitée à des fins publicitaires et les femmes elles-mêmes sont souvent considérées comme des objets sexuels.

En réalité, les avancées des années 1970 se sont heurtées aux limites imposées par une société de classe. Nous nous rendons compte que le progrès n’est pas mécanique. Il peut même y avoir des reculs, comme les attaques qui ont lieu aujourd’hui dans certains pays européens contre le droit à l’IVG ou contre les droits sociaux comme les congés de maternité. Nous devons toujours nous battre pour la libération de la femme, mais ce combat doit faire partie d’un mouvement plus large pour une autre société.

Quelle est aujourd’hui la bonne stratégie pour le mouvement?

Il est évidemment très important de mener le combat pour le droit à l’IVG, pour l’égalité des salaires ou contre l’exploitation sexuelle. Mais tout seul, ce mouvement n’aboutira pas à la libération des femmes.

Nous, par exemple, pensons que la lutte pour les droits des femmes fait partie de notre lutte contre la guerre en Irak et en Afghanistan. Cela ne fait qu’un seul combat.

De la même façon, nous participons aux luttes syndicales tout en militant pour l’égalité des femmes à l’intérieur même des organisations ouvrières.

En France, il existe une forme de néo-colonialisme aux ralents islamophobes. Beaucoup de féministes participent à la discrimination contre les femmes voilées, par exemple. Quelle est ta position la-dessus ?

La libération des femmes ne doit pas signifier que les femmes occidentales aient le droit d’imposer leur point de vue aux autres. En Grande-Bretagne, il existe beaucoup de gens qui disent qu’ils sont opposés à l’islamophobie mais que, finalement, le port du voile n’est pas bien. Notre position est simple : nous sommes pour la liberté de choix. Nous nous opposons à toute idée de supériorité culturelle.

En France, l’opposition active à la guerre est très faible. A ton avis, en tant que responsable du mouvement en Grande-Bretagne, quel est son avenir ?

Pourtant votre président Sarkozy a dit qu’il envoie des renforts en Afghanistan et la France est très impliquée dans la guerre contre le terrorisme !

Chez nous la question est vraiment capitale. La Grande-Bretagne est l’allié principal des Etats-Unis, c’est donc un problème stratégique pour la gauche. Nous disons que leur guerre n’a rien à voir avec la libération des femmes, qu’il y a aujourd’hui plus de viols, d’assassinats de femmes ‘pour l’honneur de la famille’ et plus de prostituées qu’avant la guerre. L’intervention n’a pas eu comme effet de ‘civiliser’ ces pays, au contraire elle a conduit à un nouveau type de barbarie.

Aujourd’hui, nous avons le devoir d’empêcher une attaque contre l’Iran. Une guerre menée contre ce pays mettrait inévitablement tout le Moyen-Orient au feu et au sang.

Pour conclure, tu es une des responsables de la coalition RESPECT [un regroupement de la gauche radicale] qui a connu une scission catastrophique en 2007. Quelles sont d’après toi les principales leçons de cet échec ?

Nos problèmes sont dûs en partie au système politique britannique qui donne très peu de chances à des minorités électorales. Le fait de ne pas avoir réussi une percée rapide en dehors du seul siège détenu par George Galloway nous a beaucoup fragilisé.

Nous n’avons pas pu construire une alliance assez large. RESPECT était constituée essentiellement de trois composants : le Socialist Workers Party, Galloway et une partie de la communauté musulmane. Si les rapports entre ces trois composants devaient se dégrader, il y avait toujours un risque majeur que la coalition implose – et c’est ce qui s’est passé.

Le fait est que le besoin d’une alternative électorale au parti travailliste, qui a été la raison d’être de RESPECT, est toujours aussi fort. Donc si à court terme cette alternative n’existe plus, nous devons continuer à travailler dans ce sens.

Propos recueillis en juillet 2008 à Marxism 2008, l’université d’été du Socialist Workers Party à Londres, par Laure, Laurent et Colin (qui a assuré la traduction).

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