08 décembre 2008

 

L’islamophobie en France aujourd’hui

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Samedi 29 novembre j'ai assisté à la conférence sur l'islamophobie organisée à Saint-Denis par quelques associations locales (de Fontenay sous Bois, Carrières sous Poissy ...) avec un panel très intéressant composé de Mouloud Aounit du MRAP, Samy Debah du Collectif contre l'islamophobie en France, Zhor Firar de l'association Convergences, Fouad Imarraine du Centre Malcolm X et Omar Mahassine, imam et militant associatif (un imam qui cite Bourdieu !).

J'y ai appris beaucoup de choses et j'ai eu beaucoup de discussions avec des gens dans la salle. Mais le plus frappant pour moi - même si honnêtement je n'étais pas surpris - était l'absence totale de militants non-musulmans (je peux même dire que j'étais le seul). Aucune organisation de gauche, aucune association anti-raciste, aucun militant n'était dans la salle. Cela en dit long sur l'état de la gauche en France. Les organisateurs ont expliqué que la conférence était destinée essentiellement aux musulmans eux-mêmes, ce qui est compréhensible. En effet, c'est aux principaux intéressés de prendre conscience du problème et de s'organiser eux-mêmes. Mais la présence, ne serait-ce qu'en tant qu'observateurs, de militants non-musulmans opposés à l'islamophobie aurait eu une valeur symbolique forte. Et c'est le contraire qui s'est produit.

Après la conférence j'ai demandé à Samy Debah de m'envoyer le texte de son intervention. Le voici :


Conférence de Saint-Denis sur l’islamophobie, 29 novembre 2008

Intervention de Samy Debah, représentant du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF)

Mesdames et Messieurs,

Je tiens tout d’abord au nom du Collectif contre l’Islamophobie en France à remercier les organisateurs pour la tenue de cette conférence et de former le vœu qu’elle permette de mieux appréhender les manifestations d’intolérance et de discrimination qui touchent les musulmans et de progresser dans les réponses à apporter face à ce fléau.

Même si l’islamophobie est un phénomène mondial, il n’en demeure pas moins qu’il existe des particularismes français qui obligent l’observateur à analyser certaines de ces spécificités. Ainsi, depuis cinq années, le CCIF observe, analyse et rend compte des discriminations, actes de haine et de violences que subissent les musulmans de France.

Le CCIF a été mis en place dans un contexte particulier : celui des discussions qui précédaient la loi du 15 mars 2004 pudiquement appelée Loi sur les signes religieux alors qu’en fait elle ne visait qu’un seul signe : le voile de filles qui avaient pour la très grande majorité fait le choix de le porter par conviction. A cette époque, pas une semaine ne passait sans articles de presse, reportages ou émissions visant à convaincre l’opinion du bien fondé de la future loi souvent avec des arguments diffamatoires, insultants, dégradant contre toute une communauté qui n’avait que très peu eu l’occasion d’exprimer son opinion quant on ne la lui volait pas en donnant la parole à de pseudos musulmans légitimant au nom d’un islam inventé les plans d’un laïcisme sectaire.

Un groupe de personnes considérait alors que l’indécence avait été atteinte lorsque le propos d’un éditorialiste qui plus est membre du HCI proclamait publiquement son islamophobie sans que cela ne soulève d’indignation dans l’opinion publique ni même auprès de ceux qui avaient l’habitude de manifester leur réprobation dès lors que d’autres composantes de notre société étaient agressées.

Les musulmans n’ont-ils pas droit au même élan de solidarité nationale lorsqu’ils sont stigmatisés, insultés ou agressés??

Notre réaction consistait à exprimer notre réprobation aux propos par un rassemblement devant le siège de l’hebdomadaire. Mais cette action n’avait de sens que si elle était suivie par un travail plus consistant. Nous décidions de suivre ce phénomène qui prenait de l’ampleur dans la société en recensant les actes ou propos islamophobes. Les témoignages nous ont permis d’établir un état des lieux régulier de la situation des musulmans. Puis, très vite les témoignages ont montré la nécessité d’apporter un soutien aux victimes et un service juridique s’est constitué.

Aussi l’opinion publique nationale et internationale auprès de qui les laïcistes faisaient du lobbying devait savoir ce que vivaient comme discriminations les musulmans de France et un pole de relation publique et communication est apparu. C’est lui qui rend publique auprès des agences de presse des cas qui sont portés à notre connaissance. Il entretien des relations avec des ONG nationales, européennes ou internationales mais également avec des chercheurs du monde entier qui mènent des études sur ce phénomène et qui trouvent dans notre travail une source de documentation conséquente pour leur compréhension du phénomène islamophobe en Europe de l’ouest à travers l’exemple de la France.

Le CCIF interpelle les pouvoirs publiques sur les discriminations ou actes de haine dont sont victimes les musulmans de notre pays par des rencontres de plus en plus fréquentes dans les ministères.

Notre message est clair : Pour le CCIF, la discrimination est un phénomène indivisible dont la lutte doit être égalitaire. Il n’est pas question de faire une place particulière et d’établir plus ou moins ouvertement une hiérarchisation entre les différentes victimes individuelles ou collectives de discriminations.

Cependant, nous tenons à rappeler l’urgence de la lutte, intransigeante et indifférenciée de l’Etat contre toutes les formes de discrimination, et le retard accumulé dans la lutte contre l’islamophobie exige qu’on y mette plus de moyens.

Alors que l’on tente dans certains domaines de faire évoluer le droit vers plus de liberté, les musulmans se retrouvent dans certains cas à ne pas pouvoir profiter de libertés fondamentales. Au recensement de 2007, 90% des actes de discriminations touchant les musulmans avaient encore pour origine les administrations de l’Etat (une femme à qui l’on conditionne la célébration de son mariage ou la remise d’un simple document administratif au retrait de son hijab, d’autres empêchées d’accompagner leurs enfants lors de sorties scolaires pour le même motif, des enfants que l’on oblige à manger de la viande ne respectant pas ainsi la volonté des parents de ne pas leur en distribuer, des individus fichés par certaines agences de recherche d’emploi ou de travail temporaire comme portant le hijab ou la barbe……). Tant de cas que nous ne pouvons développer dans le détail mais pour lesquels je vous renvoie vers notre site.

On pourrait être étonné que ce phénomène atteigne une telle ampleur dans un pays qui a développé depuis de nombreuses années une culture de tolérance et qui a renforcé de façon significative les moyens juridiques de lutte contre le racisme, la xénophobie et toutes les formes de discrimination.

Ils sont souvent le fruit d’un phénomène de surexposition du fait islamiste dans les discours médiatiques et politiques qui attribuent à l’intégrisme des qualités qui seraient intrinsèquement liées à l’essence même de l’islam et du musulman. Ce discours qui atteint à peu près l’ensemble des environnements sociaux ignorants tout de la réalité musulmane et vivant dans une angoisse engendrée par les déréglementations sociales que subissent les pays européens traduites par la recherche d’un bouc émissaire trouvé dans l’islam et les musulmans, ne laisse que peu de place aux initiatives de la société civile qui mettent en avant la concorde sociale ou le discours favorisant le vivre-ensemble.

Ce sentiment et les actes qui peuvent en découler sont graves parce qu’ils ne sont, dans les faits, que peu ou pas combattus par les institutions. L’on constate même chez certains la justification d’actes de discrimination oubliant qu’ils sont proscrits par le droit et surtout qu’ils sont souvent l’expression de la haine du musulman ou de ce qu’il représente.

Certes, les gouvernements ont systématiquement condamné les actes de vandalisme visant les lieux de cultes ou les profanations de tombes. Plusieurs ministres ont reconnu qu’il existait une certaine islamophobie qu’il fallait combattre. Le Président lui-même s’est exprimé sur le sujet et il est beaucoup plus facile aujourd’hui d’obtenir un permis de construire pour un lieu de culte. Mais tout cela n’a pu être obtenu que parce que la classe politique dans son ensemble s’est engagée dans cette voie et a donné l’exemple.

C’est par souci de cohérence avec ses engagements constitutionnels et internationaux dans la lutte contre les discriminations que l’Etat et les institutions chargées de mettre en œuvre sa politique, doivent veiller à ne pas fermer les yeux devant les discriminations que subissent les musulmans au quotidien et à ne pas laisser s’installer dans le pays une ambiance délétère propice aux actes de haines.

Des hommes et des femmes qui, en plus d’endurer les effets d’une économie morose, ainsi que les discriminations liées à leur condition sociale souvent très modeste, doivent subir celles liées à la pratique de leur foi alors que l’ensemble des dispositions juridiques est censé les préserver de telles situations.

Les résultats tangibles obtenus par le CCIF prouvent que l’islamophobie n’est pas une fatalité dans notre pays :

Les dizaines de médiations que nous avons menées avec succès ont évitées aux plaignants de subir les discriminations au travail, à l’université, dans les centres de formations publics ou privées ainsi que les administrations.
Les condamnations obtenues auprès des tribunaux contre des personnes réfractaires à l’idée d’appliquer la loi républicaine aux musulmans montre que lorsque la justice ne subit pas la pression des populistes ainsi que de certains médias elle est une justice efficace dans la lutte pour l’égalité.
L’adoption de deux délibérations de la Halde considérant le refus d’accepter les mères portant le voile lors de sorties scolaires ainsi que le refus des organismes de formation d’accepter les femmes portant le voile comme discriminatoire est un gage de sérieux et d’efficacité des efforts que nous avons déployé.

Si ces résultats sont le fruit d’une politique que nous avons décidé d’engager dès le début en nous entourant de personnes qualifiées sur ces questions, ils ne doivent pas cacher les nombreux cas de victimes qui n’ont pas encore reçu d’aide mais également la mauvaise image qu’a l’opinion publique de l’islam et des musulmans et qu’il faut changer très rapidement au risque de créer des fossés très inquiétants.

Notre travail a besoin d’être renforcé. Parce qu’après avoir acquis le savoir faire, nous devons maintenant répondre à ces défis par une organisation renforcée. Les mouvements sociaux l’ont montré, la mobilisation est une réponse à des situations d’injustice. Mais cette mobilisation ne peut s’envisager qu’en étant organiser. Plus nous serons nombreux et organisés plus nous serons efficaces.

Je vous le dis sans détour: nous avons là un outil inédit pour combattre l’islamophobie. Les résultats obtenus nous permettent de ne plus nous torturer l’esprit de savoir comment faire. Maintenant que nous avons la technique, il faut le nombre. C’est ce à quoi je vous appelle, adhérez au CCIF, apportez vos compétences, votre force et si c’est le cas, alors, l’islamophobie reculera ; nous le souhaitons tous.

Merci

A lire également cet excellent texte de Abdelaziz Chaambi, Pourquoi la Coordination contre le Racisme et l'Islamophobie ?

/.../ Aujourd’hui même les institutions mises en place par la République telles que la Halde ou bien les organisations traditionnelles de défense des droits n’arrivent pas à endiguer ou à résister aux campagnes de haine , de rejet et de diabolisation des musulmans , tant et si bien que bon nombre de musulmans français décident de quitter notre pays . Nous citerons à ce sujet Monsieur Daniel Weinstock directeur du centre de recherche en éthique de Montréal qui a dit lors d’un colloque à l’UNESCO en Juin 2007 : « si j’étais musulman en France il y a longtemps que j’aurai quitté le pays ». De notre coté nous avons décidé de ne pas fuir, de rester chez nous, de résister et de combattre l’infamie, et l’altérité malade de celles et ceux qui refusent de regarder la France en face et d’accepter ses richesses et son nouveau visage./.../

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