08 mai 2008
Souvenirs de 1968
(Cet article est un travail en cours et écrit de mémoire. Il y a peut-être quelques erreurs.)
Il faut quand meme que je parle un peu de mon mai '68. Ou plutôt de toute cette période turbulente dont les mois de mai-juin français ne sont finalement qu'un moment.
En mai '68 (Louis Armstrong est au n° 1 avec What a Wonderful World) j'étais étudiant en Angleterre et déjà très politisé. Nous avons suivi avec beaucoup d'intéret ce qui se passait en France. J'ai le souvenir d'une réunion de cellule qui a eu dans ma propre chambre dans le grand appartement de Finchley Road à Londres que je co-louais avec cinq autres camarades. Je partageais la chambre avec un camarade qui fumait des Gaulloises au lit et allait devenir un spécialiste reconnu de la musique pop (Dylan, Buddy Holly notamment). On écoutait A Love Supreme de John Coltrane (sorti en 1964). La réunion a été animée par (je pense) un militant anarcho-syndicaliste anglais qui a été témoin des évènements. Mais nous n'avions pas attendu l'occupation de la Sorbonne pour militer.
Il y eut le mouvement contre la guerre au Vietnam. A Cambridge où j'ai fait mes études nous avons organisé quelques actions. Je me souviens d'une manifestation contre la projection du film Les bérets verts avec John Wayne dans un cinéma de la ville ; des étudiants de gauche y ont participé avec entre autres des pacifistes appartenant à l'église des Quakers, historiquement très présente dans cette région d'Angleterre.
Note : Le film étant sorti seulement en juin 1968 il s'agit d'une erreur de ma part. Ma mémoire n'est pas infaillible !
Une autre fois nous avons lancé l'idée d'une manif contre l'invitation faite par une association d'étudiants (Officers Training Corps) à un responsable d'une base militaire américaine (il y en a beaucoup dans l'Est de l'Angleterre). Etant allité à l'infirmerie j'ai preté ma chambre pour une réunion d'organisation. A sa grande surprise, le malade a reçu la visite de deux personnes (si mes souvenirs sont bons, un haut gradé de la police et un militaire) visiblement très inquiets et soucieux de connaître nos intentions. L'invitation a été annulée et nous avons gagné sans rien faire.
La première grande manifestation nationale eut lieu à Londres le 22 octobre 1967 (les Bee Gees sont au n° 1 avec Massachusetts) et donna lieu à des confrontations spectaculaires avec la police montée à Grosvenor Square devant l'ambassade américain (j'y étais et j'ai vu les chevaux de près). La Vietnam Solidarity Campaign a organisé deux autres grands rassemblements, en mars et octobre 1968. Mais nous avions d'autres raisons à manifester et à militer.
Quand on est militant révolutionnaire on est d'abord anti-raciste. Le mouvement pour les droits civiques aux Etats-Unis a eu une énorme influence. Les premières images des actualités dont je me souviens (à part le couronnement de la reine en 1953) sont celles des flics blancs de l'Alabama ou du Mississippi en train de tabasser des militants noirs. Les idées de Malcolm X étaient dans l'air et allaient bientôt pénétrer une partie de la jeunesse afro-caribéenne. Quelques années plus tard à Birmingham, j'ai assisté à un débat passionné entre militants noirs pour savoir si j'avais le droit - avec d'autres militants blancs - de rester dans la salle. Je ne leur en voulais pas.
A la meme époque (nous sommes au début des années 1970) nous avons été invités à une soirée chez un dirigeant de l'Association des Travailleurs indiens (Indian Workers' Association), Avtar Singh Jouhl. C'était un militant totalement dévoué à la cause et un allié très important dans la lutte contre l'extrême droite, qui avait bien sûr été formé politiquement en Inde. Tout trotskistes que nous étions, nous avons bien profité de la cuisine indienne, assises par terre, entourés de bustes et de portraits de Staline. Telles sont les contradictions du Front unique.
Les années 1950 vit en Grande-Bretagne un grand mouvement contre la menace nucléaire autour d'une revendication claire et nette : le désarmement nucléaire unilatéral (c'est-à-dire sans conditions) de la Grande-Bretagne. Je n'y ai pas particpé, mais il existait une section de la Campagne pour le désarmement nucléaire (CND) à Cambridge avec laquelle j'étais en contact.
En 1964, Harold Wilson (le Kennedy anglais, disait-on) mit fin aux "treize années perdues" de gouvernements conservateurs. Nous y croyions beaucoup, mais la désillusion vint vite. Wilson s'alignera de façon un peu honteuse sur la politique américaine au Vietnam, s'attaquera aux travailleurs de la marine marchande en grève ("un complot communiste"), tentera de limiter les salaires et de réduire le role des militants de base dans les syndicats et se révèlera impuissant face au coup d'Etat de la minorité de colons blancs en Rhodésie du Sud (aujourd'hui le Zimbabwe). J'ai fait campagne pour le Labour en 1964 à Birmingham et de nouveau en 1966 dans les fins fonds de la campagne du Cambridgeshire, mais ce sera la dernière fois. L'extrême gauche - essentiellement les International Socialists auxquels j'adhère - commençait à grandir et à gagner en confiance.
La radicalisation dans les universités commença bien avant mai '68. Même à Cambridge :
- Nous avons manifesté contre l'apartheid en Afrique du Sud et le régime d'Ian Smith en Rhodésie. Lors d'une manif très respectable, avec des représentants des églises, des étudiants sud-africains blancs membres d'un club de rugby ont fait une contre-manifestation et lancé des petits pains rassis (!).
J'ai conservé pendant des années une aversion particulière non seulement pour le rugby mais aussi pour l'accent sud-africain (que certains comparent à l'accent pas très joli de ma ville natale de Birmingham), malgré le fait que plusieurs de mes camarades, dont un de mes co-locataires, étaient des exilés blancs sud-africains. Ce dernier avait été fermier en brousse en Afrique du Sud, et trotskiste. Il nous a raconté comment son voisin le plus proche, à quelques kilomètres de là, était également trotskiste, mais appartenait à une autre tendance. (Cela semble etre trop beau pour etre vrai).
En 1967-68, un cortège organisé très rapidement est parti de la LSE pour aller au siège du gouvernement rhodésien à quelques centaines de mètres de là mais nous ne sommes jamais arrivés, la police étant plus rapide que nous. En voulant arracher un camarade des mains de la police j'ai été embarqué moi aussi. J'ai passé quelques heures au poste et payé une amende de deux livres (!). Ce qu'il faut savoir également est que la radicalisation des étudiants de la LSE devait beaucoup à la nomination au poste de directeur de cet établissement prestigieux d'un rhodésien du sud proche du régime rebelle et raciste d'Ian Smith. Un de nos camarades étudiants, un rhodésien d'origine indienne appelé Basker Vashee, a été le principal animateur de l'opposition à cette nomination.
- L'association des étudiants travaillistes de Cambridge (Labour Club) a scissionné sous les effets de la politique anti-ouvrière et pro-américaine du gouvernement de Harold Wilson. J'étais déjà proche de l'extrême gauche et en parallèle à nos activités de recrutement à l'association nous lisions des journaux révolutionnaires (Labour Worker, Militant ...) et assistions à des réunions avec des orateurs trotskistes (Nigel Harris, Tony Cliff ...). (Voir ici un article de Nigel Harris datant de l'automne 1968 intitulé Race and Nation)
Au début de l'année scolaire 1965-66 ou 1966-67 nous avons officiellement organisé une réunion de recrutement au Labour avec (je pense) le ministre Dennis Healey, un travailliste de droite très "droit dans ses bottes", comme invité. Après avoir assuré la sécurité du ministre et aidé à canalisé la foule, nombreuse, nous avons enlevé nos brassards et nous sommes entrés dans la salle pour manifester bruyamment pendant son discours. Pas très "fair-play", il est vrai. Une autre fois, le ministre des affaires étrangères, Michael Stewart, très pro-américain, a été la victime de nos agissements. Pris dans une bousculade et coincé dans un couloir étroit, il s'en est sorti indemne de justesse. Le Labour Club sera dissous par l'appareil travailliste, ce qui peut se comprendre, d'ailleurs.
- Nous avons commencé à contester la gestion encore très paternaliste de l'université par un professorat très traditionnaliste (il y avait encore une ségrégation entre les étudiants et les étudiantEs). J'ai aidé à créer une association éphémère à King's College qui s'appelait King's Left, ce qui m'a valu quelques manifestations d'hostilité de la part de certains étudiants abrutis issus des collèges privés comme Eton. Le directeur (Provost) de King's a par contre bien voulu venir dialoguer avec nous, dans ma chambre.
Des occupations (sit-ins) accompagnées de cours et de de débats alternatifs (teach-ins) ont eu lieu à partir de 1967, suivant le modèle des manifestations organisées sur les campus américains contre la guerre au Vietnam. Quelques semaines après les évènements à la Sorbonne, le Hornsey College of Art a été occupé pendant 6 semaines (fin mai - juin) et la London School of Economics est devenue une importante base pour la gauche radicale, notamment pour l'organisation des grandes manifestations de la Vietnam Solidarity Campaign. Il y a eu de vifs débats entre des étudiants de différentes tendances politiques (un grand nombre de mes camarades de cette année sont encore très actifs). Mon premier contact avec la LSE a été à la fin de l'année scolaire 1966-67. Je me souviens d'avoir diffusé des tracts écrits par les étudiants qui occupaient le hall de la fac alors que j'étais venu seulement pour un entretien en vue d'y continuer més études l'année suivante.
La petite gauche radicale anglaise était en ébullition à partir du début des années 1960.
Les Jeunesses socialistes étaient effectivement dominées par trois tendances trotskistes et allaient bientot etre dissoutes. Une des tendances - la plus sectaire, celle de Gerry Healy - tentèrent pendant quelques années à animer une association de jeunes sous le meme nom. Je n'ai jamais été tenté par les Healyites, dont le sectarisme et l'agressivité n'inspiraient pas confiance. Le triste dénouement de cette tendance allait me donner raison.
Les Grantites (membres de la tendance Militant dirigée par Ted Grant - encore un trostkiste sud-africain blanc) étaient plus sympathiques, et à Cambridge on faisait même des matchs de baby-foot contre eux, mais leurs discours stéréotypés étaient ennuyeux. Leur version préférée à l'époque consistait à dénoncer la mainmise des "400 monopoles' et à appeler à leur nationalisation. Nous n'avions rien contre leur nationalisation, mais en tant que partisans de la théorie du capitalisme d'Etat, cela ne nous semblait pas si radical que cela (en URSS toute l'économie était nationalisée). Un jour, en train de somnoler pendant un de ces discours, je me suis réveillé quand j'ai entendu l'orateur appeler à la nationalisation des "200 monopoles". Il paraît que la concentration du capital s'était avancée tout d'un coup, et la ligne avait changé.
Le PC britannique était encore la force la plus nombreuse et la mieux implantée à la gauche du Parti travailliste, mais il avait été ébranlé par la révolution hongroise de 1956, dont il ne faut pas sous-estimer l'importance en cette année de commémoration de l'année 1968. Mais il faut dire qu'avant d'avoir été exposé aux idées de Tony Cliff sur la nature capitaliste d'Etat de l'URSS j'avais encore l'idée que le pouvoir soviétique était quand meme le légitime successeur des bolchéviques. Mais j'étais plutôt sympathisant du Labour Party, dont l'aile gauche était très proche du PC. C'était de toute façon essentiellement par opposition au racisme qui se développait, avec l'arrivée de nouveaux immigrés noirs et de l'Asie du Sud, que j'ai commencé à prendre conscience politiquement. Dans ma famille, je n'avais jamais entendu parlé de Lénine ou de Trotski, plutot de Churchill, du général Montgomery et de la famille royale.
Le PC était essentiellement le parti d'une fraction de la bureaucratie syndicale, mais il existait une couche importante de militants de base, membres du PC ou du Labour Party ou non-encartés, souvent élus 'shop stewards' (délégués d'atelier) et prêts à agir indépendamment de cette bureaucratie.
Une de mes premières actions militantes en cette année scolaire 1967-68 était de participer avec d'autres étudiants à un piquet de grève très matinal et assez violent (de la part de la police, évidemment) des ouvriers du chantier du nouveau centre résidentiel et d'affaires du Barbican près de la City.
Un jour j'y suis allé monté à l'arrière de la moto d'un camarade étudiant originaire de l'Irlande du Nord. En revenant par le métro, j'ai acheté un petit journal à quelqu'un qui devait être un des dirigeants de la minuscule section anglaise de la IVème Internationale (c'était la quatrième et la plus petite des tendances trotskistes). Le journal s'appelait je crois The Week. Mais j'étais beaucoup plus convaincu et impressionné par les International Socialists et particulièrement par le théoricien de la tendance, Tony Cliff (1917-2000). Celui-ci passait beaucoup de temps chez les étudiants de la LSE mais nous exhortait continuellement à soutenir la lutte des travailleurs, seuls capables de changer la société. J'ai passé également quelques heures dans sa maison de Hackney avec lui et parfois sa femme extraordinaire Chanie - une trotskiste sud-africaine juive qui est toujours vivante et active en 2008. Tout le monde adorait Chanie, mais il ne fallait pas accepter de monter dans sa voiture à moins d'avoir des nerfs d'acier.
Plus tard il y a eu le mouvement de solidarité avec la grève très importante d'une équipe d'ouvrières à l'usine Ford de Dagenham qui revendiquaient l'égalité des salaires avec les hommes. J'ai assisté à une de leurs réunions. Mon camarade Sabby Sagall a même préparé le thé pendant que les grèvistes discutaient.
Des membres du Syndicat des Electriciens (ETU) étaient opposés à leur propre direction (alors violemment anti-communiste). Nous avons photocopié et agrafé à la LSE des centaines d'exemplaires d'une brochure écrite par un camarade électricien, qui ne pouvait pas militer ouvertement par peur d'exclusion du syndicat, que nous avons ensuite très bien vendue aux militants venus manifester à Hyde Park.
En septembre 1968, nous avons reçu le premier numéro du journal Socialist Worker, imprimé sur un papier carton un peu bizarre, avec en dernière page un article sur les évènements en France écrit par Laurie Flynn (un copain de la LSE). Une de nos activités avaient été de vendre le journal de IS appelé alors Labour Worker aux portes des réunions mensuelles des sections des syndicats (surtout celui des métallos, l'Amalagamated Engineering Union), mais le nom était devenu chez les meilleurs militants ouvriers un véritable repoussoir - d'où son changement. Nous n'avions pas encore l'habitude de faire des ventes à la criée dans la rue - une activité dont j'allais devenir un véritable champion par la suite.
L'année 1968 fut également l'année du fameux discours raciste du député conservateur réactionnaire Enoch Powell, qui était en plus un ancien élève de mon lycée. C'était en avril. Certains dockers londiniens ont fait grève pour le soutenir. On était hanté par le spectre d'un mouvement fasciste de masse avec une base ouvrière. Un militant docker membre des International Socialists, Terry Barrett, est venu à la LSE animer une réunion ; c'était un orateur très puissant - une grande gueule. Les International Socialists ont décidé alors de lancer un appel à l'unité de la gauche radicale (et oui, déjà!) sous forme non pas d'un long texte de synthèse mais d'un simple tract contenant quelques points simples à comprendre comme l'opposition aux controles de l'immigration et aux limitations des salaires. J'ai participé à sa diffusion ; malheureusement, à part l'adhésion d'un petit groupe sectaire, il n'a pas eu l'effet escompté. La section britannique de la IVème Internationale, notamment, est resté à l'écart. Il faut dire qu'elle était plutot branchée sur le rôle d'avant-garde des étudiants (les bases rouges dans les facs) et les révolutions anti-coloniales ("Ho, Ho, Ho Chi Minh").
Une autre manifestation était celle du 1er mai. Cette fête n'était pas fériée et il n'y avait plus de tradition de grève ou de manifs ce jour-là. L'idée a été relancée notamment par un syndicaliste de la presse qui avait démisionné du PC quelques années auparavant (John Lawrence) et a donné lieu à une petite manifestation près de la Tour de Londres. J'y ai participé dans le cortège des International Socialists.
Enfin, une autre grande manifestation a eu lieu à Londres en avril en solidarité avec le dirigeant étudiant allemand Rudi Dutschke qui avait été victime d'une tentative d'assassinat.
Note : Cette chronologie intéressante des manifestations en Allemagne entre 1964 et 1969 suggère que la manifesation à Londres a eu lieu entre le 14 et le 16 avril. Mais elle se trompe en disant que Dutschke a été "assassiné". En fait il a été gravement blessé mais s'est rétabli suffisamment pour poursuivre sa carrière académique à Londres et au Danemark. Il est mort en 1979 des séquelles de l'attentat.
L'année 1968 n'avait pas encore pris fin que le mouvement pour les droits civiques des Catholiques en Irlande du Nord (inspiré en grande partie par l'exemple de la lutte des Noirs américains) éclata et les chars russes écrasèrent le mouvement réformiste tchèque. A Birmingham, j'ai participé à une manifestation contre l'occupation russe où les International Socialists ont tenté de faire entendre une voix originale : "ni Washington , ni Moscou". Des années plus tard, lors du coup d'Etat de Jaruszelski en Polgne en 1981, je suis allé directement aux Invalides manifester près de l'ambassade polonaise à Paris. Nous, à la différence d'autres "soixante-huitards" comme Kouchner ou Glucksmann n'avons strictement rien à nous reprocher de ce coté-là. Notre combat était contre tous les impérialismes et contre le capitalisme sous toutes ses formes, à l'Est comme à l'Ouest. C'est sans doute pour cela que nous n'avons pas trahi nos idéaux comme eux. A l'époque, cela nous faisait toujours sourire quand on nous disait de "retourner à Moscou".
Le reste, ce serait trop long à raconter ...
Un excellent article en français sur La contestation dans les universités anglaises dans les années 1966-68 ...
Sur Wikipedia en anglais, cet article donne une liste impressionnante des mouvements contestataires en 1968 dans le monde
Il faut quand meme que je parle un peu de mon mai '68. Ou plutôt de toute cette période turbulente dont les mois de mai-juin français ne sont finalement qu'un moment.
En mai '68 (Louis Armstrong est au n° 1 avec What a Wonderful World) j'étais étudiant en Angleterre et déjà très politisé. Nous avons suivi avec beaucoup d'intéret ce qui se passait en France. J'ai le souvenir d'une réunion de cellule qui a eu dans ma propre chambre dans le grand appartement de Finchley Road à Londres que je co-louais avec cinq autres camarades. Je partageais la chambre avec un camarade qui fumait des Gaulloises au lit et allait devenir un spécialiste reconnu de la musique pop (Dylan, Buddy Holly notamment). On écoutait A Love Supreme de John Coltrane (sorti en 1964). La réunion a été animée par (je pense) un militant anarcho-syndicaliste anglais qui a été témoin des évènements. Mais nous n'avions pas attendu l'occupation de la Sorbonne pour militer.
Il y eut le mouvement contre la guerre au Vietnam. A Cambridge où j'ai fait mes études nous avons organisé quelques actions. Je me souviens d'une manifestation contre la projection du film Les bérets verts avec John Wayne dans un cinéma de la ville ; des étudiants de gauche y ont participé avec entre autres des pacifistes appartenant à l'église des Quakers, historiquement très présente dans cette région d'Angleterre.
Note : Le film étant sorti seulement en juin 1968 il s'agit d'une erreur de ma part. Ma mémoire n'est pas infaillible !
Une autre fois nous avons lancé l'idée d'une manif contre l'invitation faite par une association d'étudiants (Officers Training Corps) à un responsable d'une base militaire américaine (il y en a beaucoup dans l'Est de l'Angleterre). Etant allité à l'infirmerie j'ai preté ma chambre pour une réunion d'organisation. A sa grande surprise, le malade a reçu la visite de deux personnes (si mes souvenirs sont bons, un haut gradé de la police et un militaire) visiblement très inquiets et soucieux de connaître nos intentions. L'invitation a été annulée et nous avons gagné sans rien faire.
La première grande manifestation nationale eut lieu à Londres le 22 octobre 1967 (les Bee Gees sont au n° 1 avec Massachusetts) et donna lieu à des confrontations spectaculaires avec la police montée à Grosvenor Square devant l'ambassade américain (j'y étais et j'ai vu les chevaux de près). La Vietnam Solidarity Campaign a organisé deux autres grands rassemblements, en mars et octobre 1968. Mais nous avions d'autres raisons à manifester et à militer.
Quand on est militant révolutionnaire on est d'abord anti-raciste. Le mouvement pour les droits civiques aux Etats-Unis a eu une énorme influence. Les premières images des actualités dont je me souviens (à part le couronnement de la reine en 1953) sont celles des flics blancs de l'Alabama ou du Mississippi en train de tabasser des militants noirs. Les idées de Malcolm X étaient dans l'air et allaient bientôt pénétrer une partie de la jeunesse afro-caribéenne. Quelques années plus tard à Birmingham, j'ai assisté à un débat passionné entre militants noirs pour savoir si j'avais le droit - avec d'autres militants blancs - de rester dans la salle. Je ne leur en voulais pas.
A la meme époque (nous sommes au début des années 1970) nous avons été invités à une soirée chez un dirigeant de l'Association des Travailleurs indiens (Indian Workers' Association), Avtar Singh Jouhl. C'était un militant totalement dévoué à la cause et un allié très important dans la lutte contre l'extrême droite, qui avait bien sûr été formé politiquement en Inde. Tout trotskistes que nous étions, nous avons bien profité de la cuisine indienne, assises par terre, entourés de bustes et de portraits de Staline. Telles sont les contradictions du Front unique.
Les années 1950 vit en Grande-Bretagne un grand mouvement contre la menace nucléaire autour d'une revendication claire et nette : le désarmement nucléaire unilatéral (c'est-à-dire sans conditions) de la Grande-Bretagne. Je n'y ai pas particpé, mais il existait une section de la Campagne pour le désarmement nucléaire (CND) à Cambridge avec laquelle j'étais en contact.
En 1964, Harold Wilson (le Kennedy anglais, disait-on) mit fin aux "treize années perdues" de gouvernements conservateurs. Nous y croyions beaucoup, mais la désillusion vint vite. Wilson s'alignera de façon un peu honteuse sur la politique américaine au Vietnam, s'attaquera aux travailleurs de la marine marchande en grève ("un complot communiste"), tentera de limiter les salaires et de réduire le role des militants de base dans les syndicats et se révèlera impuissant face au coup d'Etat de la minorité de colons blancs en Rhodésie du Sud (aujourd'hui le Zimbabwe). J'ai fait campagne pour le Labour en 1964 à Birmingham et de nouveau en 1966 dans les fins fonds de la campagne du Cambridgeshire, mais ce sera la dernière fois. L'extrême gauche - essentiellement les International Socialists auxquels j'adhère - commençait à grandir et à gagner en confiance.
La radicalisation dans les universités commença bien avant mai '68. Même à Cambridge :
- Nous avons manifesté contre l'apartheid en Afrique du Sud et le régime d'Ian Smith en Rhodésie. Lors d'une manif très respectable, avec des représentants des églises, des étudiants sud-africains blancs membres d'un club de rugby ont fait une contre-manifestation et lancé des petits pains rassis (!).
J'ai conservé pendant des années une aversion particulière non seulement pour le rugby mais aussi pour l'accent sud-africain (que certains comparent à l'accent pas très joli de ma ville natale de Birmingham), malgré le fait que plusieurs de mes camarades, dont un de mes co-locataires, étaient des exilés blancs sud-africains. Ce dernier avait été fermier en brousse en Afrique du Sud, et trotskiste. Il nous a raconté comment son voisin le plus proche, à quelques kilomètres de là, était également trotskiste, mais appartenait à une autre tendance. (Cela semble etre trop beau pour etre vrai).
En 1967-68, un cortège organisé très rapidement est parti de la LSE pour aller au siège du gouvernement rhodésien à quelques centaines de mètres de là mais nous ne sommes jamais arrivés, la police étant plus rapide que nous. En voulant arracher un camarade des mains de la police j'ai été embarqué moi aussi. J'ai passé quelques heures au poste et payé une amende de deux livres (!). Ce qu'il faut savoir également est que la radicalisation des étudiants de la LSE devait beaucoup à la nomination au poste de directeur de cet établissement prestigieux d'un rhodésien du sud proche du régime rebelle et raciste d'Ian Smith. Un de nos camarades étudiants, un rhodésien d'origine indienne appelé Basker Vashee, a été le principal animateur de l'opposition à cette nomination.
- L'association des étudiants travaillistes de Cambridge (Labour Club) a scissionné sous les effets de la politique anti-ouvrière et pro-américaine du gouvernement de Harold Wilson. J'étais déjà proche de l'extrême gauche et en parallèle à nos activités de recrutement à l'association nous lisions des journaux révolutionnaires (Labour Worker, Militant ...) et assistions à des réunions avec des orateurs trotskistes (Nigel Harris, Tony Cliff ...). (Voir ici un article de Nigel Harris datant de l'automne 1968 intitulé Race and Nation)
Au début de l'année scolaire 1965-66 ou 1966-67 nous avons officiellement organisé une réunion de recrutement au Labour avec (je pense) le ministre Dennis Healey, un travailliste de droite très "droit dans ses bottes", comme invité. Après avoir assuré la sécurité du ministre et aidé à canalisé la foule, nombreuse, nous avons enlevé nos brassards et nous sommes entrés dans la salle pour manifester bruyamment pendant son discours. Pas très "fair-play", il est vrai. Une autre fois, le ministre des affaires étrangères, Michael Stewart, très pro-américain, a été la victime de nos agissements. Pris dans une bousculade et coincé dans un couloir étroit, il s'en est sorti indemne de justesse. Le Labour Club sera dissous par l'appareil travailliste, ce qui peut se comprendre, d'ailleurs.
- Nous avons commencé à contester la gestion encore très paternaliste de l'université par un professorat très traditionnaliste (il y avait encore une ségrégation entre les étudiants et les étudiantEs). J'ai aidé à créer une association éphémère à King's College qui s'appelait King's Left, ce qui m'a valu quelques manifestations d'hostilité de la part de certains étudiants abrutis issus des collèges privés comme Eton. Le directeur (Provost) de King's a par contre bien voulu venir dialoguer avec nous, dans ma chambre.
Des occupations (sit-ins) accompagnées de cours et de de débats alternatifs (teach-ins) ont eu lieu à partir de 1967, suivant le modèle des manifestations organisées sur les campus américains contre la guerre au Vietnam. Quelques semaines après les évènements à la Sorbonne, le Hornsey College of Art a été occupé pendant 6 semaines (fin mai - juin) et la London School of Economics est devenue une importante base pour la gauche radicale, notamment pour l'organisation des grandes manifestations de la Vietnam Solidarity Campaign. Il y a eu de vifs débats entre des étudiants de différentes tendances politiques (un grand nombre de mes camarades de cette année sont encore très actifs). Mon premier contact avec la LSE a été à la fin de l'année scolaire 1966-67. Je me souviens d'avoir diffusé des tracts écrits par les étudiants qui occupaient le hall de la fac alors que j'étais venu seulement pour un entretien en vue d'y continuer més études l'année suivante.
La petite gauche radicale anglaise était en ébullition à partir du début des années 1960.
Les Jeunesses socialistes étaient effectivement dominées par trois tendances trotskistes et allaient bientot etre dissoutes. Une des tendances - la plus sectaire, celle de Gerry Healy - tentèrent pendant quelques années à animer une association de jeunes sous le meme nom. Je n'ai jamais été tenté par les Healyites, dont le sectarisme et l'agressivité n'inspiraient pas confiance. Le triste dénouement de cette tendance allait me donner raison.
Les Grantites (membres de la tendance Militant dirigée par Ted Grant - encore un trostkiste sud-africain blanc) étaient plus sympathiques, et à Cambridge on faisait même des matchs de baby-foot contre eux, mais leurs discours stéréotypés étaient ennuyeux. Leur version préférée à l'époque consistait à dénoncer la mainmise des "400 monopoles' et à appeler à leur nationalisation. Nous n'avions rien contre leur nationalisation, mais en tant que partisans de la théorie du capitalisme d'Etat, cela ne nous semblait pas si radical que cela (en URSS toute l'économie était nationalisée). Un jour, en train de somnoler pendant un de ces discours, je me suis réveillé quand j'ai entendu l'orateur appeler à la nationalisation des "200 monopoles". Il paraît que la concentration du capital s'était avancée tout d'un coup, et la ligne avait changé.
Le PC britannique était encore la force la plus nombreuse et la mieux implantée à la gauche du Parti travailliste, mais il avait été ébranlé par la révolution hongroise de 1956, dont il ne faut pas sous-estimer l'importance en cette année de commémoration de l'année 1968. Mais il faut dire qu'avant d'avoir été exposé aux idées de Tony Cliff sur la nature capitaliste d'Etat de l'URSS j'avais encore l'idée que le pouvoir soviétique était quand meme le légitime successeur des bolchéviques. Mais j'étais plutôt sympathisant du Labour Party, dont l'aile gauche était très proche du PC. C'était de toute façon essentiellement par opposition au racisme qui se développait, avec l'arrivée de nouveaux immigrés noirs et de l'Asie du Sud, que j'ai commencé à prendre conscience politiquement. Dans ma famille, je n'avais jamais entendu parlé de Lénine ou de Trotski, plutot de Churchill, du général Montgomery et de la famille royale.
Le PC était essentiellement le parti d'une fraction de la bureaucratie syndicale, mais il existait une couche importante de militants de base, membres du PC ou du Labour Party ou non-encartés, souvent élus 'shop stewards' (délégués d'atelier) et prêts à agir indépendamment de cette bureaucratie.
Une de mes premières actions militantes en cette année scolaire 1967-68 était de participer avec d'autres étudiants à un piquet de grève très matinal et assez violent (de la part de la police, évidemment) des ouvriers du chantier du nouveau centre résidentiel et d'affaires du Barbican près de la City.
Un jour j'y suis allé monté à l'arrière de la moto d'un camarade étudiant originaire de l'Irlande du Nord. En revenant par le métro, j'ai acheté un petit journal à quelqu'un qui devait être un des dirigeants de la minuscule section anglaise de la IVème Internationale (c'était la quatrième et la plus petite des tendances trotskistes). Le journal s'appelait je crois The Week. Mais j'étais beaucoup plus convaincu et impressionné par les International Socialists et particulièrement par le théoricien de la tendance, Tony Cliff (1917-2000). Celui-ci passait beaucoup de temps chez les étudiants de la LSE mais nous exhortait continuellement à soutenir la lutte des travailleurs, seuls capables de changer la société. J'ai passé également quelques heures dans sa maison de Hackney avec lui et parfois sa femme extraordinaire Chanie - une trotskiste sud-africaine juive qui est toujours vivante et active en 2008. Tout le monde adorait Chanie, mais il ne fallait pas accepter de monter dans sa voiture à moins d'avoir des nerfs d'acier.
Plus tard il y a eu le mouvement de solidarité avec la grève très importante d'une équipe d'ouvrières à l'usine Ford de Dagenham qui revendiquaient l'égalité des salaires avec les hommes. J'ai assisté à une de leurs réunions. Mon camarade Sabby Sagall a même préparé le thé pendant que les grèvistes discutaient.
Des membres du Syndicat des Electriciens (ETU) étaient opposés à leur propre direction (alors violemment anti-communiste). Nous avons photocopié et agrafé à la LSE des centaines d'exemplaires d'une brochure écrite par un camarade électricien, qui ne pouvait pas militer ouvertement par peur d'exclusion du syndicat, que nous avons ensuite très bien vendue aux militants venus manifester à Hyde Park.
En septembre 1968, nous avons reçu le premier numéro du journal Socialist Worker, imprimé sur un papier carton un peu bizarre, avec en dernière page un article sur les évènements en France écrit par Laurie Flynn (un copain de la LSE). Une de nos activités avaient été de vendre le journal de IS appelé alors Labour Worker aux portes des réunions mensuelles des sections des syndicats (surtout celui des métallos, l'Amalagamated Engineering Union), mais le nom était devenu chez les meilleurs militants ouvriers un véritable repoussoir - d'où son changement. Nous n'avions pas encore l'habitude de faire des ventes à la criée dans la rue - une activité dont j'allais devenir un véritable champion par la suite.
L'année 1968 fut également l'année du fameux discours raciste du député conservateur réactionnaire Enoch Powell, qui était en plus un ancien élève de mon lycée. C'était en avril. Certains dockers londiniens ont fait grève pour le soutenir. On était hanté par le spectre d'un mouvement fasciste de masse avec une base ouvrière. Un militant docker membre des International Socialists, Terry Barrett, est venu à la LSE animer une réunion ; c'était un orateur très puissant - une grande gueule. Les International Socialists ont décidé alors de lancer un appel à l'unité de la gauche radicale (et oui, déjà!) sous forme non pas d'un long texte de synthèse mais d'un simple tract contenant quelques points simples à comprendre comme l'opposition aux controles de l'immigration et aux limitations des salaires. J'ai participé à sa diffusion ; malheureusement, à part l'adhésion d'un petit groupe sectaire, il n'a pas eu l'effet escompté. La section britannique de la IVème Internationale, notamment, est resté à l'écart. Il faut dire qu'elle était plutot branchée sur le rôle d'avant-garde des étudiants (les bases rouges dans les facs) et les révolutions anti-coloniales ("Ho, Ho, Ho Chi Minh").
Une autre manifestation était celle du 1er mai. Cette fête n'était pas fériée et il n'y avait plus de tradition de grève ou de manifs ce jour-là. L'idée a été relancée notamment par un syndicaliste de la presse qui avait démisionné du PC quelques années auparavant (John Lawrence) et a donné lieu à une petite manifestation près de la Tour de Londres. J'y ai participé dans le cortège des International Socialists.
Enfin, une autre grande manifestation a eu lieu à Londres en avril en solidarité avec le dirigeant étudiant allemand Rudi Dutschke qui avait été victime d'une tentative d'assassinat.
Note : Cette chronologie intéressante des manifestations en Allemagne entre 1964 et 1969 suggère que la manifesation à Londres a eu lieu entre le 14 et le 16 avril. Mais elle se trompe en disant que Dutschke a été "assassiné". En fait il a été gravement blessé mais s'est rétabli suffisamment pour poursuivre sa carrière académique à Londres et au Danemark. Il est mort en 1979 des séquelles de l'attentat.
L'année 1968 n'avait pas encore pris fin que le mouvement pour les droits civiques des Catholiques en Irlande du Nord (inspiré en grande partie par l'exemple de la lutte des Noirs américains) éclata et les chars russes écrasèrent le mouvement réformiste tchèque. A Birmingham, j'ai participé à une manifestation contre l'occupation russe où les International Socialists ont tenté de faire entendre une voix originale : "ni Washington , ni Moscou". Des années plus tard, lors du coup d'Etat de Jaruszelski en Polgne en 1981, je suis allé directement aux Invalides manifester près de l'ambassade polonaise à Paris. Nous, à la différence d'autres "soixante-huitards" comme Kouchner ou Glucksmann n'avons strictement rien à nous reprocher de ce coté-là. Notre combat était contre tous les impérialismes et contre le capitalisme sous toutes ses formes, à l'Est comme à l'Ouest. C'est sans doute pour cela que nous n'avons pas trahi nos idéaux comme eux. A l'époque, cela nous faisait toujours sourire quand on nous disait de "retourner à Moscou".
Le reste, ce serait trop long à raconter ...
Un excellent article en français sur La contestation dans les universités anglaises dans les années 1966-68 ...
Sur Wikipedia en anglais, cet article donne une liste impressionnante des mouvements contestataires en 1968 dans le monde
Libellés : 1968, Royaume-Uni