03 février 2008
Que se passe-t-il au Kenya ?
Que faut-il penser de la violence qui s'est répandue au Kenya après l'élection présidentielle truquée de décembre 2007 qui a vu une courte "victoire" du président sortant Kibaki ?
Faut-il en conclure que les Africains ont une tendance naturelle à s'entretuer, et que l'Occident doit intervenir pour empêcher un massacre ? Ou que les conflits sont un produit de la corruption (largement entretenue par les gouvernements et les multinationales étrangers), de la misère provoquée en partie par les politiques d'ajustement structurel néolibéral appliquées depuis plusieurs décennies par des régimes successifs (basés, il faut préciser, sur différentes coalitions ethniques), de l'héritage de soixante-dix années de colonialisme britannique ?
Ici, Ken Olende du SWP (G-B) explique le contexte dans lequel ont lieu ces affrontements.
Je conseille également l'excellent film La Constance du Jardinier (basé sur le livre de John Le Carré The Constant Gardener) dont quelques scènes remarquables ont été tournées dans un des plus grands bidonvilles de Nairobi.
Femmes masai
Selon cette présentation 'démolinguistique' et historique de l'Université Laval au Québec, 70% de la population appartiennent à cinq ethnies différentes, et la plus importante, les Kikuyus, ne représentent que 22% de la population. Il existerait 70 ethnies en tout (dont 15 000 individus appartenant à la tribu des Britanniques).
Cet extrait donne une idée de l'histoire de ce pays :
La colonisation britannique
Les Britanniques commencèrent à exercer une influence déterminante à partir de 1873. John Kirk, consul britannique, encouragea le sultan à annexer à son empire la plaine agricole côtière. L'unification territoriale profita évidemment aux Britanniques qui se trouvaient en conflit avec les Allemands pour le contrôle de l'Afrique orientale. Les zones d'influence furent définies lors du congrès de Berlin en 1885: d'une part, les Allemands obtinrent la côte du Tanganyika (une partie de l'actuelle Tanzanie), ainsi que le mont Kilimandjaro, d'autre part, le Kenya revint aux Britanniques, ce qui leur permit d'imposer l'anglais comme langue officielle.
Aussitôt, le sultan d'Oman accorda une concession à l'Imperial British East Africa Company. Un chemin de fer fut construit à travers le Kenya pour désenclaver l'Ouganda et atteignit le lac Victoria en 1901. Des travailleurs indiens furent employés à la construction de cette ligne qui devait faciliter la conquête de l'intérieur du pays. Effectivement, les populations locales ne purent résister à l'extension du protectorat britannique.
Pendant que les militaires et les administrateurs britanniques imposaient l'unilinguisme anglais, les missionnaires apprenaient le swahili afin de communiquer avec les populations locales. /.../
À la fin de la Première Guerre mondiale, durant laquelle plus de 150 000 Kenyans furent enrôlés dans l'armée britannique, environ 9000 Britanniques s'établirent sur les hauts plateaux, qui devinrent une colonie européenne de peuplement. En 1919, la population autochtone fut gravement affectée par la famine; les Kikuyu, les Kamba et les Luo se révoltèrent à plusieurs reprises contre l'accaparement de leurs terres. En 1920, le Kenya devint officiellement une colonie de la Couronne britannique. Le nouveau statut colonial permit la création d'associations de Kikuyu, qui luttèrent contre la mainmise britannique. Il se créa aussi des mouvements indépendantistes.
"Non seulement la révolte fut-elle sévèrement réprimée, mais elle frappa l'ensemble des Kikuyu sans distinction: 13 000 d'entre eux furent massacrés, 80 000 internés, et l'État d'urgence ne fut levé qu'en 1960. Leur leader, Jomo Kenyatta (1893-1978), fut condamné à sept années de prison «pour complicité présumée» avec les Mau-Mau."
Détesté par la presse conservatrice en Grande-Bretagne, Kenyatta conduisit le pays à l'indépendance en 1963.
Une longue analyse de Dominique Connan et Florence Brisset-Foucault : L’alternance brisée et la colère politique au Kenya
Pour Najum Mushtaq,
Dans les bidonvilles de Nairobi ou ailleurs dans le pays, la plupart des manifestants semblent appartenir aux ethnies Luo et Kalenjin, tandis que la majorité des victimes seraient des Kikuyus. Mais derrière cette simplification ethnique des combats, se cache en réalité une division profonde et historique des ressources et des richesses du Kenya.
Libellés : Afrique, Anticolonialisme, Kenya