26 décembre 2006
La France et son modèle d'"intégration républicaine"
Doudou Diène, rapporteur des Nations unies sur la xénophobie, revient sur les propos de Pascal Sevran : «C'est le signe de la lepénisation des esprits». Par Thomas HOFNUNG, Libération, mardi 26 décembre 2006Les races n’ont pas d’existence scientifique. Mais la croyance dans leur réalité, forgée par des siècles de pensée européenne sur la question, leur a malheureusement conférée une puissance de feu sociologique et politique, dont nous mesurons chaque jour les conséquences. L’exercice est donc difficile. Il faut tout à la fois combattre la pensée de la race, et ne pas taire les discriminations raciales qui ont lieu dans notre pays. La voie est étroite. Mais comment nier que la couleur de la peau d’un individu détermine aujourd’hui son vécu social. Je ne fais donc pas la promotion du Cran, mais appuie toute organisation qui vise à la fois à déconstruire les schémas racistes et à agir concrètement pour le dépassement des discriminations. En outre, je ne suis pas dupe du petit jeu qui consiste à faire des discriminations un thème à la mode, celui-ci venant dans l’esprit de nombre de ses promoteurs se substituer à la question sociale. Le débat sur l’identité française ne peut se réduire à une confrontation nécessaire sur le thème de la diversité, elle doit aussi remettre en chantier la question de notre modèle social, puisque c’est de lui que découle la manière dont nous pourrons vivre ensemble.
/.../ Que pensez-vous du modèle d'intégration républicaine à la française ?
C'est de la rhétorique nationale. La France refuse de se doter d'une des armes majeures du combat contre le racisme : reconnaître le critère ethnique pour pouvoir analyser et avoir une image claire du racisme. Elle devrait se saisir d'instruments statistiques pour mesurer les discriminations dont sont victimes ces communautés. L'idéologie républicaine est devenue un dogme qui masque la réalité profonde du racisme en France.
Etes-vous favorables à la discrimination positive ?
En France, on a ce que j'appelle une intégration strip-tease : le demandeur d'asile est censé se dénuder à la frontière de toute spécificité culturelle, religieuse et si possible ethnique avant de revêtir le manteau de la République. Cette conception reflète un refus de la diversité culturelle, ce qui est d'autant plus étonnant de la part d'un pays qui a joué un rôle fondamental dans l'adoption de la Convention de l'Unesco sur le sujet. Paris prône la diversité sur le plan international mais la refuse sur le plan interne. Quand la carte de la marginalisation sociale, économique et politique correspond à la carte ethnique et/ou religieuse, la seule mesure permettant d'inverser le cours des choses, c'est la discrimination positive.
La question noire s'invite dans la campagne. Le Conseil représentatif des associations noires (Cran) créé à la fin de l'année dernière, dans la foulée des émeutes en banlieue de novembre 2005, pour combattre le racisme antinoir adressera un questionnaire sur ce thème aux candidats à l'Elysée, avant de s'engager au côté de quiconque. Histoire d'augmenter la pression sur les responsables politiques à quelques mois des échéances présidentielle et législatives (Libération du 18 décembre).
Ainsi, interrogé sur l'éventuelle présence d'un candidat noir dans la course à l'Elysée, le président du Cran, Patrick Lozès, affirme dans un entretien paru dimanche dans le Parisien : « Nous n'excluons rien. » Il indique aussi que cette interpellation aux politiques sera adressée sans tarder à « l'ensemble des candidats républicains », « d'Arlette Laguiller à Villiers ». « Mais pas à Le Pen, explique-il, car nous considérons que le FN a pris la France en otage depuis plus de vingt ans en disant qu'il y avait un petit gâteau à partager et qu'il fallait le protéger d'envahisseurs imaginaires. » Tous les postulants à l'Elysée sont priés de répondre avant le 15 février.
Pour Patrick Lozès, il s'agit de leur demander « ce qu'ils ont l'intention de faire pour répondre à une demande de justice et d'égalité qui ne cesse de s'amplifier ». Le président du Cran précise : « En fonction des réponses, nous déterminerons notre stratégie. » A ses yeux, l'Assemblée nationale est « le modèle caricatural d'un communautarisme que personne ne dénonce : celui des hommes blancs de plus de 50 ans, bourgeois et hétérosexuels.
Cette minorité en France détient une majorité écrasante au Palais-Bourbon comme dans les conseils d'administration. Et ceux qui en font partie ne se posent jamais la question de savoir s'ils n'utilisent pas les lois de la République à leur entier bénéfice. Or c'est le cas ».
En matière de représentation de la diversité française, « les partis méritent un zéro pointé », estime encore Patrick Lozès. Et aux prochaines élections « le compte n'y sera pas ».
Par Stéphanie PLATAT, Libération, mardi 26 décembre 2006 (avec AFP)
Pour une fois qu'on peut être d'accord avec Laurent JOFFRIN (Libération, 18/12/06) :
"/.../ Les Noirs protestent ? Les enfants d'Africains sont mécontents ? Les Antillais manifestent ? Communautarisme ! Il faut donc revenir sur ce mot-valise qui reviendra comme un leitmotiv dans la campagne présidentielle. /.../
[E]n quoi les associations noires, qui demandent une meilleure représentation au sommet de la société et récusent la discrimination qui les frappe, sont-elles « communautaristes » ?
En quoi l'exigence d'une histoire nationale qui fasse droit à leur propre histoire, à la mémoire des crimes qui les ont frappés, est-elle menaçante ? La République reconnaît le droit d'association. Si les Africains ou les Antillais veulent s'associer pour défendre leurs intérêts, qui peut les blâmer ? N'ont-ils pas motif à se plaindre ? Il arrive un moment où la dénonciation rituelle du « communautarisme » est surtout l'expression d'un communautarisme blanc. Non, les minorités qui s'organisent dans le cadre des lois ne sont pas menaçantes. Elles exercent leurs droits. Voilà tout."
Racisme. Pap N'Diaye, historien et chercheur à l'EHESS, sur les stéréotypes raciaux : «Un héritage de la période coloniale»
Par Catherine COROLLER, Libération 18 décembre 2006
/.../ Les stéréotypes raciaux décrivent deux figures de Noirs. Le plus fréquent est la figure du «tirailleur», qui les présente comme de grands enfants rieurs, joyeux, pas malins mais sympathiques, d'une intelligence faible mais forts physiquement, bons soldats à condition d'être bien commandés, résistants, type «Y'a bon Banania». C'est un racisme bonasse, condescendant, pas haineux. /.../ L'autre figure racialisée du Noir est celle du «sauvage», violent, incontrôlable, hors civilisation, d'une sexualité débridée. Ce stéréotype est réapparu lors de la crise des banlieues ou lorsque des jeunes casseurs noirs ont commis des agressions dans les cortèges des manifestations anti-CPE. /.../ Ces répertoires racialisés sont hérités de la période coloniale et font preuve d'une remarquable résistance. La fin de l'esclavage, puis de la colonisation n'a pas chassé les stéréotypes raciaux. Même s'ils s'expriment de nos jours sous une forme plus atténuée, ils semblent insubmersibles.
/.../ Les discours racialisés ne se corrèlent pas mécaniquement à des violences racistes qui viseraient les Noirs. Ils sont souvent perçus comme trop inférieurs pour être réellement menaçants. Ils sont beaucoup moins victimes d'agressions que les Maghrébins. Les deux tiers des injures, menaces, violences visent des Nord-Africains.
/.../On assiste à un phénomène concomitant : l'émergence, vingt ans après la question Beur, de la question noire, et le regain d'une expression raciste. On voit apparaître des organisations associatives noires, des journalistes noirs à la télévision. Cela suscite des inquiétudes et, parfois, des dérapages racistes. Mais c'est un fait positif pour la démocratie française que les minorités visibles s'organisent, non pas pour faire valoir des particularismes, mais des souffrances spécifiques liées à la racialisation et des demandes de lutte efficace contre les discriminations raciales.
/.../Les populations noires estiment que les discriminations dont elles sont l'objet ne sont pas suffisamment prises en compte. Si en plus on ressasse les vieux répertoires racistes, cela ne peut que les blesser. Ceci dit, les propos de Sevran ou de Frêche ont suscité une forte réprobation de l'ensemble de la société. Sevran a reçu un «sévère avertissement» de France 2. Je regrette que Georges Frêche soit encore membre du PS. Mais je constate qu'il est près de la porte de sortie.
Entretien de Ramon Grosfoguel, Professeur à l'Université de Californie à Berkeley sur Oumma.com (26/12/06)
"Il me semble que le système français incarne de manière extrême l’universalisme le plus abstrait qui reflète « une colonialité du pouvoir à la française ». Contrairement aux discours ambiants, le communautarisme en France est surtout un communautarisme blanc, masculin et élitiste. Les instances de pouvoir, qu’il soit politique (Parlement…) ou économique (grandes entreprises) sont tenues par le même groupe qui ne cesse de reproduire ses privilèges.
Le paradoxe, c’est qu’on taxe certains groupes ethniques de communautarisme alors qu’on ne leur laisse pas de véritables moyens d’accéder à certaines sphères socio-économiques. Ils ont beau subir de multiples discriminations à l’école ou au travail depuis des décennies, leur capacité à se défendre est très limité. Les émeutes d’octobre 2005 illustrent l’impasse dans laquelle se trouve le système français qui proclame d’un côté une égalité théorique et qui de l’autre échoue à imposer une réelle égalité des chances."
Libellés : Multiculturalisme, Racisme