05 juin 2007

 

Sarkozy, une victoire stratégique

Par Antoine Arthous et Stathis Kouvélakis

"...l'abandon de la perspective unitaire équivalait à un abandon du terrain de l'alternative politique".

Ce texte est destiné à être publié dans la revue espagnole Viento Sur. Les auteurs, membres de la LCR, considèrent qu'une candidature unitaire était souhaitable et possible. Nous reproduisons ici le texte complet, à l'exception d'un récapitulatif des dates clés des luttes politiques en France de 1995 à 2007.

La victoire de Sarkozy est d’ordre stratégique : après plus d’une décennie de crise sociale et politique, elle permet à la droite française de s’unifier, se reconstruire et se mettre en ordre de combat pour développer une politique ultralibérale. Depuis 25 ans, le mécanisme de l’alternance se traduisait par un désaveu du pouvoir en place. Or, alors que l’UMP gouverne le pays depuis 2002, Sarkozy obtient l’un des meilleurs scores de la droite sous la V° République. Il mord fortement sur l’électoral de Le Pen, réduisant ainsi la nuisance du Front national pour la droite. Alors que durant l’ère Jacques Chirac, la droite semblait politiquement paralysée et sur la défensive, la victoire de Sarkozy traduit une dynamique importante de renouvellement de ses équipes dirigeantes, mais également une rupture politique et idéologique avec cette ère. Selon une formule souvent répétée, la droite est à présent « décomplexée » et a la volonté d’assumer clairement, au plan politique comme idéologique, un néolibéralisme dur, ouvertement autoritaire. Le ralliement à la majorité présidentielle de la plupart des députés UDF qui avaient soutenu Bayrou à l’élection présidentielle renforce l’ hégémonie de Sarkozy.

S’il a joué la « rupture » au plan politico-idéologique, il n’en fût pas de même en ce qui concerne les institutions de la V° République, alors que Bayrou, puis Ségolène Royal, avançaient des éléments de « modernisation », en proposant notamment d’introduire une dimension de proportionnelle dans l’élection des députés. Sans entrer ici dans les détails, il faut souligner que ces institutions étaient devenues un facteur d’immobilisme et de crise. Notamment, à cause du verrouillage politique produit par le système du bipartisme, les deux grands partis se transformant eux-mêmes en écuries des deux candidats (UMP et PS) à l’élection présidentielle. D’où un décalage important entre le « pays réel » et le « pays légal » et des réactions « anti-système » à l’origine, parmi d’autres facteurs, de la forte poussée de Le Pen en 2002. En 2007, la réaction anti-système s’est surtout exprimée à travers la montée (imprévue) de Bayrou, d’autant qu’il n’existait pas de candidature crédible à gauche du PS.

Sarkozy n’entend pas remettre en cause le bipartisme, il lui permet de structurer son hégémonie sur la droite, tout en maintenant la polarisation politique entre la droite et la gauche (PS). Toutefois, l’accent fortement populiste de sa campagne était une façon de répondre au décalage entre le « pays réel » et le « pays légal ». Il va poursuivre dans ce sens, en accentuant ce que l’on appelle la « présidentialisation » des institutions. Pour le dire vite, le Président de la république ne se donnera pas la figure d’un arbitre, mais deviendra un « super premier ministre », dirigeant l’action politique quotidienne. Tout en gardant un statut à part, puisqu’il est élu au suffrage universel, tout en ayant le droit de dissoudre l’Assemblée nationale.

Alors que classiquement, dans la V° République, le Premier ministre jouait le rôle d’un « fusible », Sarkozy sera donc directement exposé. Mais cela correspond bien à son orientation qui vise à mettre en oeuvre une politique ultra-libérale, sans craindre la conflictualité sociale. Au contraire, il veut plutôt en jouer et y répondre par une forme autoritaire de présidentialisme, appuyée sur une forte dimension populiste (sécurité, immigration, identité française).

Une « droitisation » de la société française ?

La rupture est donc importante. Pour autant, peut-on dire – comme on l’entend souvent, et pas seulement dans les médias – que le succès de Sarkozy est le simple reflet d’une « droitisation » de la société française ? Au cycle anti-libéral succéderait ainsi un cycle libéral : le libéralisme serait devenu dominant dans le corps social. Cette thèse nous semble erronée, non pas au sens où elle serait fausse, mais parce qu’elle s’avère unilatérale. La victoire de Sarkozy n’est certes pas un accident, elle a des racines profondes, notamment idéologiques. Elle s’inscrit dans des tendances antérieures au durcissement des politiques néolibérales, qu’elle radicalise à son tour.

Pour autant, cette victoire n’est en rien un simple prolongement linéaire et inéluctable de ces tendances. Les gouvernements auxquels a participé Sarkozy ont connu des défaites importantes dans toutes les élections intermédiaires depuis 2002. Ils ont été confrontés à de fortes mobilisations sociales, et si la droite a marqué des points en 2003 (retraites), elle a dû à nouveau reculer début 2006 (sur le CPE). Par ailleurs, s’il existe des fractures au sein des classes populaires (exclusion, précarité, chômage..) favorisant le discours populiste de Sarkozy, du point de vue politico-idéologique la situation n’a pas qualitativement changée. Le Front national en jouait d’ailleurs depuis longtemps.

Le succès de Sarkozy réside dans sa capacité à transformer les coordonnées d’une situation, en intervenant activement dans ses contradictions, et pas simplement à les refléter ou les consolider. Les contradictions portées par le cycle anti-libéral s’étaient concentrées sur le plan politique central (nous y revenons plus loin). Saisissant l’enjeu politique particulier de cette élection présidentielle dans cette conjoncture, Sarkozy a compris qu’elle ne pouvait pas se gagner « au centre ». Il fallait apporter une réponse « radicale » à une situation prolongée de crise politique et sociale que connaissait la société française depuis plus d’une décennie. Si Bayrou a essayé de surfer sur les réactions « anti-système » de l’électorat, Sarkozy a su, lui, avancer une perspective de sortie de crise : « la rupture ».

Voilà pourquoi le caractère non-prédéterminé, activement construit, de la victoire de Sarkozy n’est en rien une bonne nouvelle : s’il ne se contente pas de « traduire » électoralement une droitisation préexistante, Sarkozy est d’autant mieux placé pour la faire advenir et l’inscrire durablement dans la société française. Rien ne serait plus illusoire que de penser que les résistances sociales pourront faire face seules à cette légitimité nouvelle, construite sur le terrain politique. Avec son arrivée au pouvoir devient précisément envisageable, en France, ce que les rapports de forces établis au cours de la période passée étaient parvenus à mettre en échec, à savoir une thérapie de choc à la Thatcher. Thérapie dont il faut souligner que, en Grande-Bretagne même, elle n’était en rien inévitable, même après le premier succès des conservateurs (1979). La contre-réforme thatchérienne dût être gagnée de haute lutte (notamment contre les mineurs en 1984-85) et, malgré toutes les théorisations sur le caractère prétendument « hégémonique » de son « populisme autoritaire », elle ne s’appuyait en rien sur une adhésion majoritaire de la population à la liquidation de l’Etat social.

Du côté du PS

Malgré sa poussée spectaculaire lors des élections régionales, le PS s’est trouvé dans une situation d’impasse et de crise, qui faisait suite au bilan calamiteux du gouvernement de la « gauche plurielle » et de l’élimination de Jospin au second tour de la présidentielle de 2002. Sa division ouverte au moment du référendum sur le TCE, avec l’apparition de courants significatifs remettant en cause l’orientation néolibérale, en a été l’expression manifeste. Laurent Fabius, qui s’était prononcé pour le « non » en 2005, entendait se situer dans le prolongement de l’ère mitterrandienne, en maintenant l’encrage du PS à « gauche ». Mais, outre la faible crédibilité du personnage, qui avait été une des figures éminentes du social-libéralisme, la perspective, du point de vue du PS, paraissait peu crédible. Les anciens alliés de la « gauche plurielle », s’étaient effondrés et/ou avaient pris des distances. Le PS lui-même, parti traditionnellement privé des structures de masse de la social-démocratie, est devenu largement autonome de la base sociale de la gauche. Happé par les institutions étatiques et le jeu des alternances gouvernementales, dépourvu de réelle substance militante, il est étroitement contrôlé par un appareil central fortement bureaucratisé et un pléthorique contingent d’élus.

C’est la gauche radicale et antilibérale qui occupait l’espace politique à gauche du PS. Mais, pour cette même raison, et du fait des divisions internes[1], la direction du PS ne pouvait poursuivre de façon ouverte sa marche au social-libéralisme, surtout après la victoire du non au TCE.
Ségolène Royal a donc lancé sa candidature en contournant le parti. Elle a joué sur l’aspiration au renouvellement (et la candidature d’une femme), la « modernisation » de la démocratie (démocratie participative, etc.), faisant des clins d’œil sur sa gauche et/ou vers les couches moyennes, tout en reprenant à son compte une version atténuée de la thématique sarkozyenne des « valeurs »: ordre, travail, identité nationale, éloge de la famille. Sur les questions économiques et sociales, elle a oscillé entre un projet initial inspiré de Tony Blair, et peu distinct sur le fond de celui de Sarkozy, (« réconciliation avec les entreprises », remplacement des droits sociaux par un discours compassionnel et moralisant, dénonciation de l’« assistanat » et réhabilitation « éthique » du « travail ») et des concessions, souvent de pure circonstance, à des éléments plus classiquement social-démocrates, sous la pression de son parti ou de la nécessité de s’adresser à l’électorat de gauche. Et lorsque la poussée Bayrou s’est accentuée dans les sondages, elle a clairement fait apparaître son orientation : en finir avec l’héritage de l’ère Mitterrand pour se tourner vers le centre.

Une telle orientation, agrémentée de zig-zags, n’était en rien capable de proposer une « rupture», alternative à celle de Sarkozy. Elle a, au contraire, accéléré le délitement idéologique du PS et conforté la posture offensive de la droite, ravie de voir le débat sur les « valeurs » se substituer aux choix en matière de politique économique et sociale. Si Ségolène Royal a engrangé au premier tour une partie des voix « anti-sarkozy » (le « vote utile » contre la droite), les votes « anti-système » ont été principalement captés par Bayrou. Son score médiocre fait apparaître que le relâchement des liens entre le PS et des secteurs décisifs de son électorat s’est non seulement poursuivi mais qu’il s’est même s’accentué : à la sécession des couches populaires est venue s’ajouter la distanciation d’une partie significative du salariat intermédiaire et intellectuel.

Au second tour, le résultat de Royal est, certes, presque identique à celui de Jospin en 1995. Toutefois, alors que Jospin et le PS se trouvaient au centre d’un dispositif stratégique (d’alliances, d’orientation etc.), qui allait déboucher sur « la gauche plurielle » deux ans plus tard, le PS sort de cette défaite profondément désorienté et dépourvu de perspectives lisibles. Une crise de « refondation » est en train de s’ouvrir, dont il est trop tôt de définir les contours précis. Toutefois, compte tenu du phénomène Bayrou ( et au-delà du devenir politique propre du personnage et du parti qu’il vient de lancer) et de l’affaissement de ses anciens partenaires de gauche (PCF, Verts), la tendance largement dominante de l’appareil sera celle d’un tournant vers le « centre », dans le sens d’une rencontre entre le social-libéralisme et le libéralisme-social qui se développe d’ailleurs au niveau européen.

La marginalisation de la gauche antilibérale lors de ces élections donne, naturellement, de l’espace pour une telle orientation. Sa politique autosuicidaire, dont la fragmentation est à la fois le résultat et l’une des causes, qui a mené à cette marginalisation n’aura pas seulement des effets, qui se font déjà fortement sentir, « à gauche de la « gauche ». C’est une donnée qui a pesé sur l’ensemble de la situation politique ; et donc de sa dynamique à venir.

Le bilan des résultats à gauche du PS

Au premier tour de la présidentielle, Ollivier Besancenot (LCR) atteint 4,08 %, contre 4,25 % en 2002, Arlette Laguiller (LO) 1,33 % contre 5,72 %, Gérard Schivardi (PT) 0,34 % contre 0,45 % pour le candidat du PT en 2002. Les voix d’extrême gauche passent donc de 10,4 % à 5,75 %. Marie Georges Buffet (PCF), obtient 1,93 % contre 3,37 % pour le candidat du PCF en 2002 et José Bové[2] 1,32 %. Enfin, les Verts passent de 5,3 % à 1,57 %. Le constat est sans appel : par rapport à 2002, le recul des voix qui se sont portées à gauche du PS est considérable. Seul Olivier Besancenot tire son épingle du jeu (gagnant même 200 000 voix), sur la base d’une campagne qui a eu un écho réel et a vu venir à ses meetings des jeunes étudiants et salariés, dont c’était souvent la première expérience politique, et qui compose une partie significative de son électorat. Il existe deux façons de présenter ces résultats qui renvoient à des analyses différentes de la conjoncture.

La direction de la LCR ne se contente pas de se féliciter du bon résultat de son candidat, elle souligne sa portée quasi historique. Tout d’abord, dans l’évolution des rapports de force au sein de l’extrême gauche. Le cycle électoral d’Arlette Laguiller est bien terminé, alors que celui d’Olivier Besancenot ne fait que commencer. Par ailleurs, toujours selon cette logique, un processus de décantation se serait opéré à gauche du PS. Certes, la LCR aurait mené une bataille pour l’unité de la gauche antilibérale. Mais les divergences étaient trop importantes avec des courants qui n’ont pas clairement affirmé leur indépendance vis-à-vis du PS. De surcroît, il faut bien constater que ces courants et militants « à gauche de la gauche » sont le produit de l’expérience passée, alors que la LCR, elle, grâce notamment à la candidature Olivier Besancenot, est en phase avec les nouvelles générations.

Notre analyse est différente. Le bilan est un échec pour l’ensemble de la gauche radicale eu égard au enjeux politiques que représentait la nécessité d’une candidature unitaire antilibérale qui, de plus, était possible. Le faible résultat de l’ensemble des voix à gauche du PS renvoie principalement à l’absence d’une alternative unitaire crédible. Le « vote utile » pour Ségolène Royal, qui, selon les enquêtes, à touché près de la moitié de l’électorat de l’extrême-gauche de 2002, traduit lui-même la perception du vote pour l’un(e) des multiples candidats de la gauche radicale comme un « vote inutile », étroitement identitaire ou protestataire, incapable de peser sur le rapport de forces d’ensemble et d’ouvrir une perspective de rupture à gauche. Car l’enjeu se situait bien à ce niveau, et c’est pourquoi l’abandon de la perspective unitaire équivalait à un abandon du terrain de l’alternative politique.

La LCR s’en sort certes nettement mieux que les autres, mais, justement, cela montre la place qu’elle occupe et les responsabilités particulières qui sont les siennes. Il semble difficile de considérer que le maintien d’Olivier Besancenot autour de 4% des suffrages soit un résultat à la hauteur des potentalités d’une période de mobilisations sociales et électorales exceptionnelles, parfois même victorieuses, et alors que, pour la première fois depuis des décennies, le social-libéralisme était ouvertement bousculé sur sa gauche par le « non » au référendum et, surtout, par la force de la campagne unitaire du « non » de gauche. Enfin, il est illusoire de croire qu’une nouvelle force politique va se construire essentiellement à partir de « jeunes » qui font leur première expérience, en contournant les courants politiques issus du cycle passée. La LCR, loin de là, n’est pas la seule responsable de ce bilan. Mais, compte tenu de sa place et du fait que nous en sommes des militants, nous nous contenterons de quelques remarques sur sa politique.

Retour en arrière

Pour éclairer ce qui s’est joué, il faut entrer plus en détail dans la période passée et souligner l’inflexion dans les cordonnées de la situation politique. Pour le dire un peu schématiquement, l’échec des luttes contre la réforme des retraites en 2003 (comme les effets des difficultés internationales du mouvement altermondialiste) annonce l’essoufflement de la « phase sociale » et « mouvementiste » du cycle antilibéral, dans laquelle le mouvement social semblait pouvoir se développer par l’effet de sa seule dynamique propre. S’annonce alors un « retour de la politique » qui s’exprime spectaculairement dans la poussée du PS aux élections régionales.[3]

Depuis 1995, la force de la LCR – et le succès de la candidature d’Olivier Besancenot en 2002 en était l’expression - résidait dans sa capacité à épouser l’aspect multiforme du mouvement social pour, en quelque sorte, se positionner comme son aile radicale. Toutefois, l’échec de 2003 fait apparaître les limites d’un tel profil politique articulé autour de deux axes : une bataille pour les luttes et la préparation d’une grève générale et un discours propagandiste sur la nécessaire « rupture » avec le système capitaliste. Le contenu de l’accord et de la campagne LCR et LO lors élections régionales de 2004 montre que la direction de la LCR a du mal à se repositionner par rapport aux déplacements des conflits sur le terrain politique. En effet, elle présente ces listes comme le seul vote de gauche utile au premier tour contre la droite. C’est une vision un peu hallucinée de la réalité : du point de vue du vote utile contre la droite, les électeurs ont choisi le PS. Mais, au second tour, la LCR n’appelle pas à voter pour le PS (ni même simplement à battre la droite).

La politique unitaire vis-à-vis de LO ne s’est pas poursuivie. Par contre, une certaine vision du champ politique à gauche du PS s’est de plus en plus clairement affirmée. Pour la direction de la LCR, tout se passe comme si l’ensemble des courants existant entre le PS et la LCR expriment, au mieux, un simple processus de décomposition politique sans avenir, au pire, un pont tendu vers le social-libéralisme. Il ne s’agit pas de nier la difficulté liée à l’absence de cristallisation nationale de courants significatifs, autonomes vis-à-vis du PS et/ou critiques vis à vis de la direction du PCF, mais la direction de la LCR a tendance à considérer tout processus allant dans ce sens comme un obstacle. Pour elle, au-delà des discours, tout se passe comme si la Ligue était la seule alternative politique au PS, capable de polariser directement autour d’elle les militants qui veulent s’engager dans la construction d’une nouvelle force politique.

C’est avec ce profil que la LCR s’engage dans la bataille contre le Traité constitutionnel, lors du référendum de mai 2005. Conformément à ses traditions (et contrairement à LO), elle est très active dans la campagne unitaire pour un « non de gauche ». Cela, naturellement, est important. Toutefois lorsque, au-delà de l’unité d’action réalisée sur le terrain, il s’agit de prendre la mesure des enjeux de la conjoncture ouverte par la victoire du non et les enjeux politiques ouvert pour la gauche radicale, alors des problèmes apparaissent à nouveau.

Le regroupement des partisans d’un « non de gauche au TCE avait certes un aspect hétérogène : un courant de « gauche » du PS (PRS, dirigé par Jean-Luc Mélanchon), la gauche des Verts, le PCF, la LCR, des courants et des personnalités à gauche du PCF, ATTAC, une personnalité comme José Bové, emblématique de l’altermondialisme...Mais il apparaissait comme l’expression d’une gauche radicale, se démarquant nettement du social-libéralisme du PS. C’est pourquoi s’y est reconnue une part très importante des militants critiques (syndicalistes, associatifs, altermondialistes..) qui avaient été des « animateurs » des mobilisations passées. Il en est résulté une innovation importante, un réseau de plusieurs centaines de comités unitaires, forts de dizaines de milliers de participants (dont une part importante sans affiliation partidaire) et couvrant une large partie du territoire national. Ce réseau a permis, pour la première fois sans doute depuis les années 1970, de dépasser la fragmentation entre courants opposés et de poser concrètement la question d’une recomposition politique en rupture avec le social-libéralisme.

Naturellement, il fallait un contenu à cette unité et un projet qui permette de structurer politiquement ce début de recomposition sur le terrain militant. La question essentielle était celle de l’indépendance vis-à-vis du PS : l’affirmation selon laquelle le candidat unitaire et les forces le soutenant ne participeraient pas ni à un gouvernement, ni à une majorité parlementaire avec le PS. Cette exigence était défendue (il faut le souligner) par tous les courants de la Ligue. Et dès septembre 2006, les collectifs (inclus le PCF) adoptèrent un premier texte allant clairement dans ce sens.

Il était possible d’améliorer ce texte. Surtout si la direction de la Ligue avait explicitement dit qu’elle serait d’accord pour un candidat unitaire si cette condition était remplie. Mais elle ne procéda jamais ainsi, multipliant les surenchères et refusant obstinément de prendre la mesure de l’acquis que constituait l’existence du réseau de comités unitaires. Faisant comme si les positions politiques prises par les comités n’existaient pas, s’abstenant de la bataille qui s’y est menée, elle a centré ses critiques sur l’orientation politique de la direction du PCF qui, effectivement, poussait dans le sens du maintien d’un accord possible avec le PS. Tout en ayant comme objectif ( non déclaré ) de présenter Marie-Georges Buffet comme candidat unitaire de la gauche antilibérale.

Une candidature unitaire était possible

La politique de la direction de la LCR laissa alors de grandes marges de manœuvre à celle de la direction du PCF, surtout après l’annonce officielle de la candidature d’Olivier Besancenot (juin 2006), qui s’est traduite par le retrait de facto du processus des candidatures unitaires. La Ligue se trouva dans l’incapacité de peser dans la crise du PCF qui devenait de plus en plus ouverte, touchant même sa direction nationale et de nombreux élus, qui se sont déclarés pour une candidature unitaire et non pour celle de M.G Buffet[4]. Il était illusoire de croire que le PCF dans son ensemble allait se rallier à une candidature unitaire sur la base d’une claire indépendance vis-à-vis du PS. Par contre, il est apparu qu’une telle candidature était possible sur la base d’une crise ouverte du PCF, en regroupant une partie très importante de ses militants (et une partie de sa direction et de ses élus) et l’ensemble des autres composantes du mouvement ; à l’exception possible du courant « gauche » du PS, même si une telle candidature aurait un impact sur des militants socialistes. Compte tenu de sa place, la LCR avait ici un rôle clé à jouer. Notamment, au plan politique car il est évident que sa présence active au sein de ce mouvement unitaire était une garantie de son profil et de sa dynamique politique. Il n’en a rien été.

Reste à expliquer les raisons de cette orientation politique. Au-delà des jeux d’alliance entre divers courants internes de la LCR, deux questions décisives apparaissent. La première tient à l’analyse d’ensemble de la conjoncture et de la place de l’élection présidentielle. Manifestement, la direction de la LCR n’a pas compris les enjeux politiques qui s’y cristallisaient du point de vue de la condensation des rapports de forces entre les classes et, en conséquences, les enjeux que représentait une candidature unitaire de la gauche radicale. Et c’est d’ailleurs une constante de la LCR durant le cycle passé de sous-estimer les moments politiques de cristallisation des luttes des classes, au profit d’une approche essentiellement « sociale », « mouvementiste », (qui n’en en rien contradictoire à un propagandisme politique abstrait) de ces luttes. Cette sous-estimation de la dimension politique était étroitement liée à une compréhension « statique » de la conjoncture récente, qui en sous-estimait les éléments de crise et d’instabilité. Cette vision « pessimiste » paraît aujourd’hui confortée par la victoire de Sarkozy (qui, comme nous l’avons suggéré auparavant, a su trancher à vif, et à droite, dans la crise), mais c’est au prix d’un véritable refoulement des potentialités de la période écoulée et des responsabilités de la gauche radicale dans une issue qui était, à notre sens, tout sauf inéluctable.

Les élections présidentielles ont ainsi été prises dans une vision « routinière », dont la fonction principale était est de faire apparaître la LCR dans le champ politique, en s’appuyant sur la personnalité d’Olivier Besancenot et en gérant au mieux son capital électoral. Au demeurant, il est à présent clair que, dès le début, une partie non négligeable de la direction pensait qu’il fallait annoncer tout de suite sa candidature (mais cela aurait été minoritaire dans la LCR). Et cela – c’est la seconde question décisive - parce que, fondamentalement, sa direction estime que la LCR est la seule alternative politique à gauche du PS.

C’est pourquoi, d’ailleurs, dans la campagne pour les législatives, qui suivent la présidentielle et où la gauche radicale, sauf quelques exceptions, se présente de façon totalement éclatée, le LCR s’auto-affirme, face au PS, comme la représentante da la « gauche de combat ». Et, outre l’appel à la mobilisation et l’unité qu’elle propose à l’ensemble de la gauche des syndicats contre les futurs mauvais coups de Sarkozy, elle s’adresse aux jeunes étudiants et travailleurs qui ont voté pour Olivier Besancenot afin de construire une nouvelle force anticapitaliste, dont elle serait le creuset. Cela au moment où le PS annonce qu’il va s’engager dans une refondation, en s’ouvrant vers le centre, renforçant ainsi le besoin d’une alternative de la gauche radicale qui, à moins d’avoir une vision déformée de la réalité, ne peut se cristalliser autour de la seule LCR... Mais ici commence une autre histoire et d’autres débats...

Le 1 juin 2007

[1] Lors du référendum interne de novembre 2004, 42% des membres du PS s’étaient prononcés contre le TCE.
[2] Ancien dirigeant de la Confédération paysanne et leader altermondialiste très médiatisé en France, José Bové était le candidat de militants des comités pour une candidature antilibérale unitaire qui ne se reconnaissait pas dans la canditature d’O. Besancenot et de M.G Buffet.
[3] Antoine Artous « Un décalage avec le mouvement réel », Critique communiste n° 173, été 2004 ; Stathis Kouvélakis « Un nouveau cycle politique », ContreTemps n°11, septembre 2004.
[4] Fin 2007, M.G. Buffet s’autoproclame candidate unitaire de la gauche antilibérale, des courants critiques du PCF et certains élus iront alors jusqu’au soutien de la candidature de José Bové, déclaré très peu de temps avec l’élection.

Un autre texte intéressant, de Michel Husson, pour la revue brésilienne Brasil do Fato

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