08 juillet 2006
"Nous les immigrés, on est français quand on gagne le Mondial. Mais 15 jours après, on n'est plus français !"
"A chaque match de l'équipe de France en Coupe du monde, quelques jeunes de la cité des 3 000 à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) se retrouvent au coeur de la cité : ils installent une télévision dans la cour, au milieu des immeubles, et improvisent un barbecue collectif. A chaque but français, des explosions de joie. Pour chaque victoire, de longs concerts de klaxons et, pour ceux qui disposent d'une voiture, la descente sur les Champs-Elysées afin de fêter Zidane et les siens. Dans ce quartier qui a connu des affrontements extrêmement violents pendant les émeutes d'octobre et de novembre 2005, le soutien à l'équipe de France ne fait aucun doute. Mais ne s'accompagne d'aucune illusion sur l'impact réel du football sur la société française." Lire l'article ici.
"L'intégration par le sport est un miroir aux alouettes"
LE MONDE 08.07.06
Entretien de PAP N'DIAYE, CHERCHEUR À L'ECOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES SOCIALES (EHESS), HISTORIEN DES MONDES NOIRS
Pourquoi l'équipe de France, à la différence des autres, compte-t-elle autant de joueurs noirs ?
Encore exceptionnelle dans les années 30, la présence de Noirs dans l'équipe de France s'est accentuée à partir de ces années 1960-1970, années où les flux migratoires venant des anciennes colonies se sont développés. Or, la France a eu un empire colonial plus vaste que ne l'a été celui de pays comme l'Italie ou l'Allemagne. La Grande-Bretagne, si elle a eu un grand empire, n'a que très peu de joueurs qui en sont issus. Car outre-Manche, il a longtemps existé une réticence à l'emploi de joueurs noirs dans l'équipe nationale. En France, on a intégré plus simplement les joueurs de couleur, au nom de leur qualité propre, et non de leur couleur de peau. Ainsi, les joueurs de l'équipe de France retracent une carte de l'ancien empire français presque complète, à l'exception de l'Indochine : on y retrouve les vieilles colonies (Martinique, Guadeloupe, Guyane), l'Afrique du nord (Algérie), l'Afrique occidentale française (Mali, Sénégal) et même l'Afrique équatoriale française (Congo).
Comment expliquer qu'il y ait une telle identification à cette équipe de France ?
L'attachement à l'équipe nationale n'est pas affaibli par le fait qu'elle compte une majorité de joueurs noirs. Au contraire. Beaucoup de ceux qui descendent sur les Champs-Elysées sont issus de l'immigration et s'identifient d'autant plus à cette équipe qu'elle représente la diversité. Il y a une double identification : une identification nationale à la France et une identification que j'appellerai "minoritaire". Les minorités visibles éprouvent une fierté supplémentaire à ce que des hommes d'origine non métropolitaine fassent gagner la France. Les minorités savent très bien d'où viennent les joueurs. Chacun se projette sur un joueur qui vient de la même région que lui.
N'y a-t-il pas un paradoxe à ce que la société aujourd'hui soit fière des joueurs noirs, alors qu'il y a huit mois, au moment des émeutes de banlieues, les Noirs étaient stigmatisés ?
Pour la population en général, il se produit un phénomène de déracialisation. La notoriété des joueurs tend à gommer les stéréotypes les plus négatifs qui pèsent sur l'apparence noire. On peut donc être un supporter enthousiaste de Henry, Vieira et Thuram, et dans le même temps avoir un comportement discriminatoire, raciste.
L'intégration par le sport n'est-elle pas un mythe ? Les Noirs sont loin d'être aussi présents dans les autres secteurs de la société.
C'est un double mythe. Car d'une part cela concerne une toute petite minorité de personnes. L'intégration par le sport est un miroir aux alouettes qui peut pour certains avoir des conséquences dramatiques. D'autre part le sport, même lorsqu'il s'exprime de façon joyeuse, n'abolit pas les stéréotypes racistes qui veulent notamment que les Noirs se caractérisent par leurs prouesses sportives, leurs forces physiques : elles les renforcent au contraire. Personne n'est donc surpris de voir que les Noirs réussissent en sport. Pas même les racistes. Pour que les victoires sportives favorisent la lutte contre les discriminations, il faudrait que les joueurs s'investissent, de manière plus évidente, dans des domaines extra-sportifs, dans la vie civique. Or ce n'est pas encore le cas, à l'exception de Lilian Thuram qui a, lui, fait preuve d'un énorme courage alors que tout va dans le sens d'une dépolitisation du sport. La diversité est normale dans le sport en raison de la force présupposée supérieure des Noirs, mais il faudrait qu'elle s'étende dans des secteurs où elle n'a justement pas lieu d'être aujourd'hui. Même dans le sport c'est sur le terrain que les Noirs sont présents, pas dans les instances dirigeantes, à l'exception du président de l'Olympique de Marseille, Pape Diouf.
Propos recueillis par Laetitia Van Eeckhout
Et dans Le Figaro, La France ne fredonne plus le refrain black blanc beur
Libellés : Racisme