11 juillet 2006

 

Ce n'est pas toujours un jeu


... par l'écrivain Dany Laferrière (Québécois-Haïtien)

"Je n'ai pas beaucoup dormi de la nuit à essayer de comprendre le geste de
Zidane, surtout que les opinions se ressemblaient comme si ce match n'était
regardé que par une seule personne.

Plus nous sommes nombreux, plus nous avons tendance à faire le même
commentaire. Je doute toujours d'une foule qui parle d'une voix. Et cette
voix était désolée pour Zidane. Une fin de carrière indigne de ce grand
champion. C'est bizarre, mais ce commentaire me semblait par trop bourgeois.

En fait les gens n'étaient pas vraiment désolés pour Zidane : ils ne
parlaient que pour eux-mêmes. Zidane n'était qu'un personnage de ce conte de
fées qu'ils se racontaient chaque soir avant de dormir. Il y a à peine un
mois, Zidane n'était qu'un vieux joueur fatigué. Aujourd'hui, c'est un
chevalier déchu.

Dans les anciennes fables plus sanglantes des frères Grimm, une fin avec un
carton rouge était acceptable. Mais aujourd'hui, dans cette étrange époque
où tous les humains semblent avoir bu durant leur enfance du lait de Disney,
une fin qui ne soit pas rose est inacceptable. Tout doit bien finir. Nous
devons aimer nos héros. Avant de les ranger dans le placard des bons
souvenirs. Alors qu'est-ce qui reste pour Zinédine Zidane lui-même?

Zidane, c'est un père de famille exemplaire, un homme discret qui a mené une
carrière sans faute - ce sont ces qualificatifs qu'on lui a collés comme des
médailles.

C'est peut-être vrai, mais au détriment de quoi? Qu'est-ce qu'il a dû avaler
durant cette longue carrière avant ce moment fatidique? Qu'est-ce qu'il a dû
subir sans rien dire avant de reprendre en main sa vie? De redevenir le
jeune garçon fier qui jouait dans les rues de Marseille? Celui dont on ne
pouvait se moquer impunément ni de la mère ni de la race?

Marseille, c'est pas une plaisanterie. Le Front National n'est pas loin. Et
Zidane est un enfant de cette époque. Il n'a jamais cru dans l'adulation de
la foule - ce monstre qui tue ceux qu'il aime. À un moment, il sait qu'il se
retrouvera face à un homme qu'il a laissé en chemin depuis longtemps pour la
gloire et l'argent et cet homme, c'est lui-même : Zinédine Zidane.

Je ne crois pas que ce joueur italien lui ait dit plus qu'il ne sait
entendre. Simplement, il a senti que c'était le moment. Son dernier match,
la finale de la Coupe du monde, au dernier moment. C'était le moment ou
jamais. Sinon on s'était vendu à jamais. Ne lui parlez plus de dignité.

La dignité, c'est justement le geste de Zidane pour récupérer un peu de son
honneur. C'était son moment. Il a tout donné à son équipe. Là, c'était pour
lui. Huit secondes sur une carrière de près de vingt ans. Parce que si on ne
le fait pas maintenant, ce sera fini. De toute façon il était crevé, et
l'équipe pouvait rouler sans lui.

Je crois qu'il y a des moments dans la vie qui n'appartiennent qu'à celui
qui les vit. Et à personne d'autre. Ce moment où l'on refuse de jouer, c'est
toujours un moment bête aux yeux des autres. Car que vaut l'image de la
fierté réclamée par la collectivité face à la fierté intime de l'individu?

Parce qu'on est plusieurs à regarder un jeu, on croit que c'est plus qu'un
jeu. Le geste de Zidane, c'est l'intrusion de la lourde réalité dans le jeu.
Zidane ne joue plus. Il brise les codes d'un coup de tête.

Je me souviens du geste de Charlebois quand d'un coup de sang il a lancé ses
tambours à la face du public français. En France, on s'était étonné d'un tel
comportement. Au Québec, Charlebois est devenu d'un coup une icône de la
contre-culture. On a senti quelque chose de libérateur dans ce geste. Pour
Zidane, ce sera la même chose.

Les jeunes rappeurs vont sûrement introduire dans leurs vidéo-clips les huit
secondes où Zidane est sorti du jeu pour entrer dans leur étouffante
réalité. Il a rejoint, pour une fois, lui, Zidane, dont le sang-froid était
légendaire, ceux qui ne savent pas se comporter en public. Ses frères de rue
qui ont encore le sang chaud."

Et encore ... Zidane comme Antigone

Zidane : récit mythique ou Le héros n’était pas un dieu ! Par Raphaël Liogier, Rachid Benzine jeudi 13 juillet 2006

Denis Sieffert de Politis a fait cette réflexion sur l'affaire Zidane :

"Et puis il y a Zidane. Lui aussi a su briser net notre élan au moment où nous allions vraiment faire des bêtises : peut-être le statufier place Vendôme, ou sur le parvis de Notre-Dame, ou encore sur le cheval du maréchal Joffre, face à l’École-Militaire... Non que l’on approuve son coup de boule (l’insulte du dénommé Materazzi ne devait guère être plus jolie), mais Zidane est venu à temps nous rappeler ce que tant de journalistes et de chaînes de télévision avaient oublié : qu’il n’est qu’un très bon footballeur, et un humain, et qu’il y a pour lui aussi des choses plus importantes dans la vie que le football. On ne sait d’ailleurs pas quoi (sa mère, sa religion, son honneur... ou tout à la fois), mais qu’importe, puisque le message est passé...

Quant à notre aimable corporation médiatique, elle va pouvoir méditer cette dernière leçon et se soucier désormais un peu plus des milliers de sans-papiers dont le sort se joue ces jours-ci dans une inquiétante pagaille sur fond de campagne présidentielle. Elle va pouvoir jeter un oeil distrait du côté de Gaza, où une armée surpuissante continue de détruire impunément toute une société, précipitant des centaines de milliers de gens dans une catastrophe humanitaire, et consacrer plus de quelques secondes àl’Irak, toujours « au bord de la guerre civile » (selon un cliché qui laisse supposer que le pire est à venir)." Politis, jeudi 13 juillet 2006.

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